lundi 1 juillet 2013

Article sur la Nouvelle Vague

    Introduction :
    La Nouvelle Vague est certainement l'un des mouvements cinématographiques les plus célèbres de l'histore du cinéma. On ne cesse de s'y référer à chaque fois qu'un nouveau groupe de cinéastes présente des points communs. Mes premiers contacts avec la Nouvelle Vague se sont faits avec les film d'Eric Rohmer et les 6 contes moraux (Ma Nuit Chez Maud ou encore L'amour L'après-midi) avant de regarder quelques Truffaut (Les Quatre Cents Coups notamment) ou des Godard (A Bout de Souffle et d'autres...). Tous ces films avaient pour moi quelque chose de particulier et faire un article sur le mouvement cinématographique de la Nouvelle Vague me plaisait assez.
   Au-delà du mythe de l"équipe de copains", ceux de la bande des Cahiers du cinéma menée par François Truffaut, cet article tentera de démontrer que la Nouvelle Vague, c'est-à-dire selon Jean Pierre Melville (pseudonyme de Jean-Pierre Grumbach) :"Un système de production artisanal, en décors naturels, sans vedettes, sans équipe minimum, avec une pellicule ultra rapide, sans à-valoir de distributeur, sans autorisation ni servitude d'aucune sorte." a une cohérence esthétique ou si elle est seulement un phénomène de génération comme s'il s'en produit régulièrement ?
    Il sera question d'analyser les origines de la Nouvelle Vague avant de démontrer sa cohérence esthétique et ses principales caractéristiques.


     I- Les origines de la Nouvelle Vague
              A)  Les années 1945 à 1957 : Un cinéma français très prospère mais très sclérosé
  On pourrait résumer le cinéma français à la veille de la Nouvelle Vague comme un cinéma souffrant d'une sclérose esthétique mais en bonne santé économique. De 1947 à 1957, le cinéma français connaît des records de fréquentation (423 millions de spectateurs en 1947 et 411 millions en 1957). Les années 1950 sont très prospères pour les exploitants.
  On parle de l'"âge d'or" du cinéma français sous le règne du Maréchal, "or" étant pris dans son acceptation monétaire. Il n'y a pas de crise de surproduction malgré le nombre important de films produits.
     
               B) Le cinéma français en 1958 : état des lieux
                       1-  Un cinéma à bout de souffle
  Au début de l'année 1958, Pierre Billard souligne que l'indéniable prospérité actuelle du cinéma français s'accompagne d'une profonde crise artistique :"Le tarissement de l'inspiration, la stérilisation des sujets, l'immobilisme esthétique sont difficilement contestables. Les meilleurs films ont des conceptions périmées."
  Il attribue cette faiblesse aux conditions générales de l'organisation cinématographique en France, "très défavorable à l'essor d'une nouvelle génération", pour les raisons suivantes :
     ° Inexistence d'un secteur de production experimental ;
     ° Incohérence et absurdité de l'organisation professionnelle qui multiplie les barrages et les cloisons entre les spécialités et hiérarchise à l'extrême les emplois ;
     ° Relative prospérité du court métrage qui retient les meilleurs talents ;
     ° Tendance de la production nationale à développer les "grands films internationaux" en coproduction avec des vedettes étrangères ;
     ° Manque d'esprit de recherche et de goût du risque des producteurs qui confient l'essentiel de la production à un petit nombre de réalisateurs "besogneux et sans talents".      
  En 12 années (45-57), 20% de la production totale a été réalisée par 9 metteurs en scène (soit 18 films par cinéaste). Tous les cinéastes sont des professionnels qui ont une conception étroitement artisanale de leur activité. Ils réalisent des films pour améliorer leur rendement de production surtout.    
  En 1958, le cinéma français est pleinement devenu une industrie, même si la production relève, en termes strictement économiques, d'une certaine forme d'artisanat : il s'agit de fabriquer des spectacles pour distraire et accumuler du profit en distrayant.

                       2- Un cinéma qui va changer de fonction
  Vers la fin des années 1950, le cinéma français va subitement changer de fonction sociale, et devenir partiellement un moyen d'expression artistique, répondant au manifeste d'Alexandre Astruc.
  En 1959, le cinéma va quitter la tutelle du ministère de l'Industrie et du Commerce pour dépendre du nouveau ministère de la Culture. La "Nouvelle Vague" est l'une des expressions de cette brutale rupture de statut social. L'adaptation des structures de production à cette nouvelle fonction.                      

               C) L'apparition de la Nouvelle Vague : Un mouvement d'abord sociologique apparu dans les journaux
  L'expression "Nouvelle Vague" n'est pas spécialement liée à l'origine au cinéma. Elle apparaît dans une enquête sociologique sur les phénomènes de générations menée par Françoise Giroud publiée dans l'hebdomadaire L'Express en 1957. On est donc dans le thème de la génération nouvelle donc celui de la jeunesse.
   Nous sommes aussi au début de l'apparition d'un nouveau type de presse représenté par l'hebdomadaire paru apparu en 1953 et de la généralisation des pratiques d'enquêtes et d'un certain mode d'études à caractère sociologique.
    Le thème de la relève des générations, crucial à propos du cinéma, préexiste fortement dans le paysage idéologique de la fin des années 1950. La France va changer de visage et elle doit aussi changer de cinéma. Les résultats de l'enquête arrivent et L'Express titre "La Nouvelle Vague arrive."    
    Selon François Truffaut, en 1959 :"La Nouvelle Vague a eu une réalité anticipée. C'était d'abord une invention de journalistes qui est devenue une chose effective. En tout cas, si l'on avait pas crée ce slogan journalistique au moment du Festival de Cannes, je crois que cette appellation ou une autre aurait été créée par la force des choses au moment où l'on aurait pris conscience du nombre des "premiers films". La Nouvelle Vague a désigné primitivement une enquête tout à fait officielle effectuée en France par je ne sais quel service de statistiques sur la jeunesse en général."  

                D) Un mouvement qui devient cinématographique : février-mars 1959
    L'expression "Nouvelle Vague" apparaît et revient systématiquement dans la presse non spécialisée à partir de février et de mars 1959. Elle accompagne la sortie des deux premiers longs métrages de Claude Chabrol, Le Beau Serge et Les Cousins.
    En 05/1959, le premier long métrage de François Truffaut, Les Quatre Cents Coups est, de manière très inattendue, sélectionné au Festival de Cannes, même s'il ne sera pas récompensé. La sélection du film de Truffaut a été décidée contre une très forte résistance du milieu cinématographique car François Truffaut avait été très critique par rapport au cinéma traditionnel.
    Cet affrontement va faire suite à une sorte de relève de jeunes cinéastes et de jeunes critiques par rapport au vieux cinéma, permettant l'avènement de la "Nouvelle Vague".                


      II-  Quelles sont les caractéristiques de la Nouvelle Vague ?
                 A) Un concept critique
                        1- Une école critique
  La Nouvelle Vague est d'abord un slogan journalistique accolé à un mouvement critique, celui des "hitchcocko-hawksiens", comme les nommait assez ironiquement le critique-théoricien André Bazin, fondateur des Cahiers du cinéma. Ce courant artistique est étroitement lié à un ensemble de concepts critiques.
  L'un des premiers critères d'appartenance au mouvement est l'expérience de la critique. Ces jeunes cinéastes sont des cinéphiles, ils connaissent l'histoire du cinéma et ont acquis une importante culture cinématographique.
  Ces goûts et ces conceptions ont trouvé une forme matérielle dans un très grand nombre d'articles, débats publics.. Ces cinéastes ont toujours estimé qu'il y avait même une continuité entre les deux pratiques. Selon Jean-Luc Godard :"Fréquenter les ciné-club et la cinémathèque, c'était déjà penser le cinéma. Ecrire, c'était déjà faire du cinéma, car, entre écrire et tourner, il y a une différence quantitative, non qualitative."    
  Mais est-ce que la Nouvelle Vague est une école ? Nous montrerons que oui à travers différents aspects :
    ° Corps d'une doctrine critique minimal
    ° Programme esthétique supposant une stratégie
    ° Publication d'un manifeste explicitant publiquement cette doctrine
    ° Un ensemble d'oeuvres répondant à des critères
    ° Un groupe d'artistes
    ° Un support éditorial pour connaître les positions du groupe
    ° Un leader / Un théoricien
    ° Des adversaires pour s'opposer à cette école  

                        2- Le manifeste d'Alexandre Astruc avec son texte :"Naissance d'une nouvelle avant-garde : la caméra stylo" paru dans L'Ecran (1948)
  Pour Astruc, il s'agit de démontrer que le cinéma est en train de devenir un nouveau moyen d'expression, au même titre que la peinture ou le roman. Selon lui :"Après avoir été successivement une attraction foraine, un divertissement analogue au théâtre de boulevard, ou un moyen de conserver les images de l'époque, il devient un langage. Un langage, c'est-à-dire une forme dans laquelle un artiste peut exprimer sa pensée. C'est pourquoi j'appelle ce nouvel âge du cinéma celui de la caméra-stylo."
  Astruc estime que, jusqu'en 1948, le cinéma n'a été qu'un spectacle ; que, antérieurement, à l'époque du muet, il a été trop prisonnier de la tyrannie du visuel et que, avec le parlant, il est devenu un théâtre filmé.
  Pour lui, le scénariste doit lui-même réaliser son film, car :"dans un tel cinéma, cette distinction de l'auteur et du réalisateur n'a plus aucun sens." La mise en scène n'est plus le seul moyen d'illustrer ou de présenter une scène, mais une véritable écriture :"L'auteur écrit avec sa caméra, comme un écrivain écrit avec son stylo."
     
                         3- Le pamphlet de François Truffaut : son article polémique :"Une certaine tendance du cinéma français" (1954)
  Ce pamphlet a suscité de nombreuses résistances au sein des Cahiers du Cinéma. Ces résistances confirment bien qu'il s'agit d'un véritable point de départ de la "politique des auteurs", et donc des thèses fondatrices de l'esthétique de la Nouvelle Vague.
  Ces résistances ont plusieurs causes :
     ° La résistance a d'abord été au sein des Cahiers du cinéma car André Bazin et Doniol-Valcroze, tous deux chrétiens et très ancrés à gauche n'apprécient pas ce pamphlet proche des thèses des "hussards" de la nouvelle droite
     ° La critique très violente de cinéates et de 12 films très estimés par le consensus de la critique qui font partie de ce qu'on a appelé la "tradition de la qualité". Ces films du "réalisme psychologique" sont pour la plupart des adaptations littéraires de romans classiques ou contemporains et ils doivent en grande partie leur prestige à cette origine. Le texte de Truffaut est une attaque en règle contre le travail de certains adaptateurs scénaristes, au premier range desquels figurent Jean Aurenche et Pierre Bost. Il critique la recherche d'équivalences entre procédés littéraires et procédés cinématographiques. Pour lui, il y a trahison de l'esprit de l'auteur, par substitution d'un discours propre aux scénaristes dialoguistes. Truffaut critique aussi le goût très prononcé pour l'anticléricalisme et l'anarchisme qu'il considère comme :"les soutanes étant à la mode" et non pas des vraies convictions. Pour Truffaut, Aurenche et Bost sont essentiellement des littérateurs et il leur adresse le reproche suprême : mépriser le cinéma en le sous-estimant :"Ils se comportent vis-à-vis du scénario comme l'on croit rééduquer un délinquant en lui trouvant un travail." Selon Truffaut, une adaptation valable ne peut être écrite que par un homme de cinéma.
  Les thèses de Truffaut sur l'état du cinéma français avant la Nouvelle Vague sont les suivantes :
        ¤ L'argument du contrôle des sujets de film, invoqué par les cinéastes n'est qu'un prétexte pour justifier leur lâcheté
        ¤ La crise du cinéma n'est qu'une crise de courage, donc de la virilité
        ¤ On peut faire un excellent film avec un budget très faible
        ¤ Un réalisateur comme Roberto Rossellini, "Bernard Palissy du cinéma" démontre par sa pratique que le risque paie
        ¤ Le gros cachet offert par Brigitte Bardot n'a rien de scandaleux, elle le mérite
        ¤ Il y a trop de clins d'oeil et de second degré dans le cinéma dit "intelligent"
        ¤ Il n'y a pas de mauvais films, il y a seulement des réalisateurs médiocres
        ¤ Les films de demain seront tournés par des aventuriers                
  Le courage assimilé à la virilité se passe de commentaire mais on retrouve l'argument de l'hostilité aux gros budgets qui entrave la liberté de création : ce sera l'un des crédo de base de la morale de la Nouvelle Vague, et Truffaut est d'une certaine manière clairvoyant en indiquant que les films de demain seront tournés par des aventuriers.          

                          4- La Nouvelle Vague, une "école artistique"
   Finalement, qu'est-ce qui permettrait de caractériser la Nouvelle Vague comme étant une "Ecole artistique". Repondons-y à travers la liste d'aspects que nous avons décrit précedement :
       ° Un corps doctrinal qui est constitué par la politique des auteurs telle que la définit le groupe des "hitchcocko-hawksiens"
       ° Un programme esthétique créatif découlant de cette politique est celui du même groupe : faire des films personnels écrits et conçus par leur auteur
       ° La stratégie est celle du petit budget et de l'autoproduction
       ° Le manifeste est le texte de Truffaut "Une certaine tendance du cinéma français." ou encore le texte d'Alexandre Astruc
       ° Un ensemble d'oeuvres répondant à ces critères (premiers films de Truffaut, Chabrol, Godard ou encore Rohmer : Les contes moraux, Les Quatre Cents Coups).
       ° Un groupe d'artistes (Rohmer, Godard, Truffaut, Chabrol...)
       ° Le support éditorial qui est les Cahiers du Cinéma
       ° La stratégie promotionnelle faite essentiellement par Truffaut dans l'hedomadaire Arts, ce qui en fait le leader du groupe
       ° Un théoricien qui est surtout André Bazin avec ses articles appelés "Qu'est-ce que le cinéma ?" parus en 1958, après sa mort
       ° Des adversaires qui sont les cinéastes appartenant à la "qualité française" et que Truffaut a vivement critiqué (Pierre Bost, Michel Audiard, Henri Jeanson)                              


                 B) Un certain mode de production et de diffusion
                          1- Le film à petit budget : une réalité ou un mythe ?
   On a souvent considéré que la Nouvelle Vague avait provoqué une rupture dans la pratique de production du cinéma français en favorisant les films à petit budget. Mais est-ce vrai ? Les chiffres montrent que ça ne l'est pas tellement.
   En effet, en 1959, le coût moyen d'un film est de 149 millions de francs et seulement 26 films ont été réalisés avec un budget inférieur à 100 millions de francs ce qui est peu finalement.
   Il y a eu quelques films très marginaux qui ont eu un budget très faible comme La Pointe courte (1954) d'Agnès Varda ou bien Le silence de la mer (1947) de Jean-Pierre Melville. La leçon à tirer de ces films est que Jean-Pierre Melville, suite à l'échec de son film a du accepter des contrats de films à gros budget malgré son grès et que Agnès Vada n'a même pas pu présenter son film.

                          2- La critique des superproductions et du cinéma subventionné
   A la fin des années 1950, le cinéma français est en très bonne santé économique (cf. I) mais il l'est surtout grâce aux superproductions que Truffaut va violemment critiquer à travers le numéro historique des Cahiers "Situation du cinéma français (N° 71, mai 1957). La revue s'entretient avec le directeur du Centre national de la cinématographie, Jacques Flaud.
   Un constat ressort fortement, qui est que la santé économique du cinéma français est très bonne mais sa situation artistique est préoccupante. Certains protagonistes s'en prennent aux films chers. Le bouc émissaire de cette polémique est Notre-Dame de Paris, réalisé par Jean Delannoy.
   Jean Delannoy se satisfait de la réussite économique de son film sans le considérer comme en chef-d'oeuvre et c'est cette médiocrité dans l'ambition que Jacques Rivette critique :"Ce film existe, il doit rapport tant d'argent ; nous n'irons pas le voir, c'est tout. Ce qui est grave, c'est que les metteurs en scène réalisent le film seulement pour toucher beaucoup d'argent."
   Cette critique des superproductions s'accompagne d'une critique de la subvention du cinéma français par l'Etat. Pour Jacques Flaud, l'aide de l'Etat est la principale source de la prospérité du cinéma français et il se demande si la sclérose artistique ne provient pas de "cette espèce de sécurité que donne l'aide."      
   Cette forte défiance envers les gros budgets reste une constante de la Nouvelle Vague. François Truffaut s'efforcera toujours d'enchaîner un petit budget après une production financièrement plus ambitieuse avec une ou plusieurs stars.

                          3- Les films de la Nouvelle Vague : des films autoproduits
   De nouveaux films petits budgets et "à risque" sont réalisés dès les débuts de la Nouvelle Vague pour contrer la sclérose du cinéma français. C'est Claude Chabrol qui, en produisant lui-même Le Beau Serge, ouvre la voie. Une sorte de projet de coopérative de production se met en place.
   Comme le raconte Chabrol :"Pour faire des films, nous avons mis sur pied une sorte de coopérative. Il était entendu que Resnais réaliserait son premier grand film avec Rivette comme assistant. Ensuite Rivette ferait sa première mise en scène, Truffait était assistant. Ce système de noria n'était pas inintelligent mais il n'a jamais fonctionné." (1976).
   Les premiers films à succès de la Nouvelle Vague sont des films à petit budget produits par Claude Chabrol et François Truffaut (notamment Les Quatre Cents Coups qui totalisera près de 450 000 entrées en France).                        

                  C) Une pratique technique, une esthétique
                          1- Une certaine esthétique
    L'esthétique de la Nouvelle Vague repose sur une nouvelle façon de produire les films (en privilégiant le petit budget pour garder la liberté de l'auteur réalisateur notamment). Elle a bouleversé les pratiques de l'époque (montage des films, conception...)
    La Nouvelle Vague a ainsi amené une nouvelle génération de producteurs, de techniciens, de scénaristes etc... Elle suppose les partis pris suivants :
       ° L'auteur réalisateur est aussi le scénariste du film
       ° Il y a une large place laissée à l'improvisation dans le jeu des acteurs, les dialogues..
       ° On privilégie les décors naturels en excluant le recours aux décors reconstitués en studio
       ° Il utilise une équipe légère composée de peu de personnes
       ° Il opte pour un "son direct" enregistré au moment du tournage et pas modifié après
       ° On utilise des pellicules très sensibles pour ne pas user d'éclairages additionnels
       ° Certains acteurs sont non-professionnels pour interpréter les personnages
       ° Lorsqu'il utilise des acteurs professionnels, c'est très souvent des nouveaux
    Le courant cinématographique de la Nouvelle Vague souhaite une plus grande souplesse dans la réalisation pour alléger les lourdes contraintes du cinéma conçu sur le modèle commercial et industriel. On assiste à une volonté d'effacer les frontières entre cinéma professionnel et amateurisme, comme entre film de fiction et film documentaire.
    Cet effacement de la frontière entre film documentaire et fiction est l'un des pôles esthétiques de la Nouvelle Vague (influençant Rohmer, Jean Eustache, Jacques Rivette, Godard...)
    L'autre pôle est à dominante narrative. Il regroupe des auteurs qui ont une conception plus romanesque de la création, comme Claude Chabrol, François Truffaut, Jacques Doniol-Valcroze.                        

                          2- De nouvelles techniques
                                  a) La conception de "l'auteur-réalisateur"
    L'un des dogmes de la politique des auteurs dont Astruc a jeté les bases en 1948 est que "le scénariste fasse lui-même ses films." Mieux, qu'il n'y ait plus de scénariste, car dans un tel cinéma cette distinction de l'auteur et du réalisateur n'a plus aucun sens." Mais est-ce que cette conception a réellement été appliquée à l'époque de la Nouvelle Vague ?
    Une étude précise des sujets des films de la Nouvelle Vague démontre que le cas du cinéaste réalisant le scénario qu'il a écrit est loin d'être dominant. Le Beau Serge est le seul film qui corresponde exactement à la catégorie du "scénario écrit par son réalisateur", en l'occurrence Claude Chabrol. Mais, dès Les Cousins, Chabrol collabore étroitement avec Paul Gégauff, crédité des dialogues du film.
    Aussi, pour Les Quatre Cents Coups, film naturellement très autobiographique, François Truffaut est allé chercher la collaboration d'un scénariste professionnel, qui travaillait alors pour la télévision, Marcel Moussy, afin qu'il l'aide à structurer son travail pour les dialogues. Tout au long de ses 21 longs métrages, Truffaut collabore très régulièrement avec 4 ou 5 scénaristes avec lesquels il écrira deux ou trois films.
    On voit donc que la configuration souhaitée par Alexandre Astruc et par Truffaut dans leurs articles programmatiques est loin d'être dominante. Ce qui caractérise toutefois ces adaptations, c'est que le rôle du réalisateur dans l'élaboration de la phase scénaristique est plus net et plus actif que dans le cinéma de la période antérieure.
    Les scénarios de la Nouvelle Vague sont plus personnels et souvent plus autobiographiques que ceux de la "qualité française". Mais c'est dans la mise en scène, le rapport aux personnages, les références sérieuses ou ironiques que cette subjectivité s'inscrit. Dans un certains sens, la Nouvelle Vague est plus une relève de génération de scénaristes qu'une promotion exclusive des réalisateurs auteurs.                    

                                  b) Le nouveau "scénario-dispositif"
    Il faudrait opposer deux conceptions du scénario, telles que les définit Francis Vanoye dans Scénarios modèles, modèles de scénario :
         ° Le "scénario-programme"  qui organise des péripéties en une structure prête à être tournée
         ° Le "scénario-dispositif", ouvert aux aléas du tournage, aux rencontres, aux idées de l'auteur surgissant dans l'ici et le maintenant.
    Il est évident que l'idéal de la Nouvelle Vague, c'est le scénario-dispositif, que Godard va amplifier au fur et à mesure que sa carrière se développe. Mais si le scénario-programme domine le cinéma "classique", il est loin d'être absent des films de la Nouvelle Vague puisqu'il gouverne aussi bien les tournages d'Agnès Varda ou d'Alain Resnais que de Jacques Demy. Les films de Truffaut et de Chabrol oscillent d'un pôle à l'autre mais avec une nette domination du scénario-programme.
    Ce "scénario-dispositif" a été décrit par Jacques Rivette dans une sorte de manifeste en 1973 :"Autrefois, dans une tradition dite classique du cinéma, la préparation d'un film consistait d'abord à rechercher une bonne histoire, à la développer, à l'écrire et à le dialoguer ; à partir de ça, à chercher des comédiens qui correspondraient aux personnages, à mettre en scène, etc. Ce que j'ai essayé de faire depuis, après beaucoup d'autres en suivant les précédents de Rouch, de Godard, etc., c'est plutôt de tâcher de trouver un principe générateur qui ensuite, comme lui-même, se développerait de façon autonome, et engendrerait une production filmique dans laquelle on pourrait, après, découper en quelque sorte, ou plutôt "monter" un film destiné à être projeté à des spectateurs éventuels."
    C'est dans ces limites de la fiction improvisée que se situe la spécificitée la plus marquée de la démarche créatrice de la Nouvelle Vague, aux antipodes absolues du scénario-programme. Elle débouche sur ce qu'on a appelé, en 1960, le "cinéma-vérité".      

                                  c) Un nouveau rapport à l'écriture pour ce qui est de la technique d'adaptation
     Malgré ce qui se dit généralement sur la Nouvelle Vague, les réalisateurs de cette époque n'ont pas renoncé à s'inspirer des récits littéraires qui les passionnaient, bien au contraire. Mais leur pratique de l'adaptation est radicalement différente. La plupart de leurs films ne cherchent pas à dissumuler l'origine littéraire du récit et ne tentent pas de substituer aux épisodes considérés comme anticinématographiques des "équivalences" plus visuelles.
     Cette figure verbale sera l'une des constantes de la Nouvelle Vague, le réalisateur citant précisément le texte même de l'auteur qu'il adapte, comme par exemple des fragments du roman de Moravia ("J'avais souvent pensé que Camille pouvait me quitter...") au centre de l'adaptation du Mépris proposée par Godard.  
     La Nouvelle Vague généralise la mise en scène de la voix. Trois décénnies après le passage au parlant, elle permet aux cinéastes d'exploiter toutes les potentialités apportées par la bande sonore et notamment la parole. Elle met en avant un cinéma qui n'a plus honte d'être parlant, périmant le mythe du primat de l'image que les théoriciens des années 1920 avaient imposé. Elle n'hésite pas à intégrer, comme l'avait fait René Clair dans Sous les toits de Paris et Quatorze Juillet, des chansons ou des musiques populaires (Tu te laisses aller de Charles Aznavour par exemple).    

                                  d) La redécouverte des lieux avec la sortie des studios
     Un pas important de la Nouvelle Vague, c'est de sortir le cinéma des studios. Par là même, elle s'inscrit dans le genre rossellinien, qui donnait à voir un visage radicalement nouveau de la péninsule en montrant les quartiers populaires de Rome, les paysages des routes italiennes et les musées de Naples.
     On va retrouver dans les oeuvres de la Nouvelle Vague cette mise en scène de la fiction au sein de lieux réeles que le vocabulaire a coutume de nommer les décors naturels. Ceux-ci ne sont évidemment pas choisis au hasard. Ce sont les lieux que les auteurs ont arpentés dès leur jeunesse. Cette inscription contribue fortement à accentuer la dimension autobiographique des oeuvres.
     Quand il tourne Le Beau Serge, Chabrol va s'installer dans le village où il a vécu toute son adolescence, pendant les quatre années d'Occupation, village où il a découvert le cinéma, les jeunes filles et alcoolisme :"La topographie du village était déterminante. Je voulais que les spectateurs suivent les comédiens dans leurs allées et venues, qu'ils se reconnaissent dans les lieux, les chemins, les maisons. Pour cela j'ai impréssionné des kilomètres de pellicule."
     Toute l'action des Quatre Cents Coups se situe dans la quartier d'enfance de François Truffaut, le 18ème arrondissement et la Place Clichy. A bout de souffle est un véritable portrait géographique de Paris en 1959, avec son petit hôtel pour touristes, l'hôtel de Suède, ses cafés, ses avenues comme celle des Champs-Elysées, filmée près des bureaux des Cahiers du cinéma, ses salles de cinéma, ses passages secrets, sa brasserie La Pergola à Saint-Germain-des-Près et son studio de photographe de la rue Campagne-Première.          

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