mercredi 22 avril 2015

La leçon inaugurale de Roland Barthes au Collège de France

Introduction : Roland Barthes et le Collège de France
     Carrière universitaire mais pas toujours les diplômes pour occuper les postes qu’il a occupés. Production d’essais et pas d’ouvrages précis d’analyse. Dès le début, liens forts avec la sémiologie.
     Difficile pour lui de comprendre pourquoi il est accueilli au Collège de France parce qu’il n’étudie pas comme eux (précision du savoir, des analyses). Grande joie pour lui car il a eu beaucoup de profs qui ont été au Collège de France (Michelet, Jean Baruzi, Paul Valéry, Merleau-Ponty, Emile Benveniste et celui qui présente sa thèse —> Michel Foucault).
      Le Collège de France comme institution étanche de tout pouvoir (pas d’asservissement ou de promotion). Elle est en dehors des querelles de l’enseignement de la littéraire qui est prise entre les élites technocrates et les étudiants révolutionnaires. 
       
            I- Le langage comme pouvoir
       Pour Roland Barthes, la réalité du pouvoir, c’est qu’il est multiple. Le rôle des intellectuels n’est pas forcément d’être un contre-pouvoir mais plutôt de montrer les différents pouvoirs. On ne peut pas tuer le pouvoir, il renaît partout. Pour le sémiologue, le plus grand pouvoir, c’est celui du langage
       La langue est un code, un pouvoir, elle classe tout. Par exemple, quand on parle de soi, on peut dire « Je suis curieux », on parle d’abord de soi puis on délègue tout le reste comme attribut. Le langage n’est pas neutre (on choisit toujours entre masculin et féminin par exemple). Parler, ce n’est pas communiquer, c’est assujettir.
       La langue n’a alors rien de progressiste ou de réactionnaire, elle est tout simplement fasciste car le fascisme, ce n’est pas empêcher de dire, c’est obliger à dire. Pour Roland Barthes, c’est la littérature qui permet de sortir de ce fascisme.

            II- Les trois fonctions de la littérature
       Pour RB, la littérature, c’est un tissu de mots qui exprime un signifiant. Si la langue doit être combattue, elle doit l’être à l’intérieur des phrases et non pas avec un message politique ou autre à la fin. Il y a trois forces de la littérature : Mathésis, Mimésis et Sémiosis.

                 A) La Mathésis
    La discipline la plus importante, c’est la littérature car toutes les autres sciences y sont présentes. C’est en cela qu’elle est complètement réaliste. Elle permet à la fois de désigner des savoirs réalistes mais aussi de considérer qu’il y aura toujours des savoirs à découvrir.
    Du point de vue du langage, l’opposition entre lettres et sciences humaines est encore pertinente. Alors que l’énoncé reproduit quelque chose avec une absence de l’énonciateur, l’énonciation vise le réel. Mais pas d’opposition stricte, ce qui compte, c’est le sens des mots dans les énoncés (ex : L’histoire de France de Jules Michelet a du sens même si elle manque de rigueur historiographiquement)

                 B) La Mimésis
    La seconde force de la littérature, c’est de représenter le réel. Dans les autres disciplines, le réel est seulement démontrable et pas représentable. Or, la littérature a ces deux fonctions
     Cette fonction de montrer le réel semble utopique. C’est avec Mallarmé dans la moitié du XIXème que cet intérêt de renouveler la langue dans la littérature apparaît. Le « changer la langue » de Mallarmé doit être compris comme un « changer le monde » marxien ». La pluralité des langues au sein d’une même langue (le français populaire et bourgeois au sein du français) permet une plus grande liberté de la langue française. L’individu choisit alors le langage qu’il préfère au sein de tous les langages de son langage.
     L’écrivain est celui qui déplace la langue pour que le pouvoir ne l’utilise pas. Pasolini s’est rendu compte que le pouvoir avait utilisé ses 3 films de la Trilogie de la vie mais il n’a pas regretté de les avoir réalisés. Pour lui : « Il faut se comporter comme si cette dangereuse éventualité n’existait pas. Il faut avoir le courage d’abjurer. »
  
         

                  C) La Sémiosis
     Cette 3ème force de la littérature, c’est de jouer les signes plutôt que de les détruire. Rappelons que toute science humaine n’est pas éternelle. Notre intérêt pour elles varient selon le temps (Ex : La théologie était une discipline reine alors qu’aujourd’hui, elle est mineure).
     La sémiologie (science des signes) est issue de la linguistique. La linguistique semble éclater, elle touche à tous les domaines et c’est cet éclatement qui produit la sémiologie.
     On oppose souvent langue et discours (opposition saussirienne) mais les deux s’entremêlent. Le fascisme est à la fois dans la langue et dans le discours.
      L’intérêt 1er de Roland Barthes pour la sémiologie est la volonté de comprendre les fascismes de la langue et des gestes qui les expriment, La seconde sémiologie a eu lieu avec les évènements de 68 où les libérations n’ont fait que cacher des écrasements d’autres libertés.
      Roland Barthes fait revenir la sémiologie au texte pour l’utiliser comme contre-pouvoir. La littérature et la sémiologie en viennent à se corriger l’une l’autre. Le signe aussi doit être pensé car il appartient au fascisme du langage tout en étant un fascisme lui aussi.
      La sémiologie de Roland Barthes est ici à la fois positive et négative, positive car on peut lui attribuer des caractères positifs, fixes, corporels, brefs scientifiques et négative car il y aurait des difficultés à la rendre scientifique. Cette opposition amène deux conséquences dans l’enseignement de la sémiologie : 
    * La sémiologie n’est pas un méta-langage (langage un langage) comme on peut le supposer car c’est en étudiant la sémiologie en elle-même qu’on y entrevoit son extériorité par rapport au langage.
    * La sémiologie a un rapport avec la science mais n’est pas une discipline. La sémiologie peut aider les autres sciences (c’est la partie de la sémiologie la plus développée). Elle ne peut en elle-même découvrir le réel, elle le peut quand elle s’associe avec d’autres sciences (comme l’histoire ou l’ethnologie).
       La sémiologie négative n’est ni la destruction (« sémioclastie »), ni l’insignifiance des signes (« sémiophysis »). Elle est l’étude du signe en lui-même, le sémiologue est alors une sorte d’artiste qui doit décrypter le signe à travers différents supports (cinéma, peinture, littérature, etc…).

        La sémiologie est aujourd’hui dynamique car la littérature ne l’est plus (désacralisation de l’écrivain, savoir qui ne se transmet plus aussi bien depuis mai 68). La sémiologie (plus particulièrement la sémiologie littéraire) permettrait de faire un voyage dans un paysage libre en déshérence.