mercredi 29 mai 2013

Leçon sur la leçon de Pierre Bourdieu

      Voilà plusieurs semaines, plusieurs mois même que je voulais faire un article sur Pierre Bourdieu (depuis le lancement de ce blog en réalité). Je me suis d'abord penché sur des critiques de films qui me plaisaient bien avant de me rendre compte que j'avais presque oublié l'essentiel : faire des articles sur mes auteurs préférés et certains de leurs ouvrages ou certaines de leurs pensées. Bourdieu est venu en premier (j'espère qu'il y en aura d'autres après comme Durkheim, Gramsci, Marx ou bien des historiens spécialistes de la gauche française ou italienne).
         Au départ, je souhaitais faire un article sur La distinction, mais l'ouvrage me paraîssait beaucoup trop volumineux pour le lire et en faire un article concis. Je me suis alors rappelé que Pierre Bourdieu avait écrit un texte court et très instructif qu'il avait rédigé pour son entrée en tant que professeur au Collège de France.
         Sa grande influence provient des réponses originales qu'il donne aux problèmes sociologiques et à une démarche qui dépasse les oppositions traditionnelles en sociologie (Objectivisme / Subjectivisme ; Symbolique / Matériel ; Théorie / Empirie et Holisme / Individualisme méthodologique). Pierre Bourdieu assigne plusieurs fonctions principales à la sociologie que sont l'étude de la société à partir de la domination, l'analyse de toutes les pratiques sociales et culturelles possibles (possible connaissance totale du monde social dans la lignée de Durkheim) et l'étude des stratégies des différents agents dans les différents champs pour arriver aux positions sociales qu'ils souhaitent.
          Dans la Leçon sur la leçon, Pierre Bourdieu a voulu faire une sociologie de la sociologie et penser d'un point de vue scientifique ce qui constituait la sociologie (l'étude des individus en société et les institutions notamment). L'une des définitions que donnerait Bourdieu de la sociologie serait celle-ci :"Art de penser des choses phénoménalement différentes comme semblables dans leur structure et leur fonctionnement, et de transférer ce qui a été établi à propos d'un objet construit." Au fur et à mesure des objets que l'on étudie, qui sont de plus en plus diversifiés et nombreux, on se rend compte que les théories tendent à voir leur nombre de plus en plus réduit. Comme disait Leibniz :"Les sciences se concentrent à mesure qu'elles s'étendent." La Leçon sur la leçon s'apparente comme une critique directe de la sociologie et du métier d'enseignant et chercheur en sociologie comme l'a été Bourdieu dans sa carrière que ce soit en Algérie ou bien au moment où il publie cette leçon, à la fin de sa vie, lorsqu'il commence à enseigner au Collège de France.
          L'enjeu de cette leçon est de pouvoir prononcer une leçon sur celui qui justement donne la leçon en temps normal, c'est-à-dire le sociologue ou l'enseignant en sociologie. Il sera donc question de déterminer les erreurs que le sociologue ne doit pas comettre en formulant sa leçon. Autrement dit, nous nous interrogerons sur la démarche sociologique ainsi que sur la place de la sociologie et du sociologue dans la société et dans l'histoire.

        Introduction : Pourquoi cette Leçon sur la leçon ?
          Pour Pierre Bourdieu, prononcer une leçon sur la leçon, c'est tenter d'échapper à l'arbitraire lors de la prononciation d'une leçon car on pourra toujours en demander quelle en est la légitimité. La "leçon inaugurale" est ce rite où le nouveau maître est autorisé à parler avec autorité par la suite. Au cours de ce rite, les savants attestent que la parole de ce nouveau maître devient universellement recevable et magistrale (que l'on peut étendre devant un auditoire).
           Selon Bourdieu, on devrait pouvoir critiquer les institutions sociales pour pouvoir y déceler la fonction idéologique qu'on donne parfois à ces institutions.

      I- Pourquoi un tel besoin de faire une sociologie de l'intellectuel ?  
            Pour Pierre Bourdieu, le monde intellectuel doit pouvoir s'analyser sociologiquement principalement car il est celui qui impulse la culture dominante dans notre société et il recèle donc des enjeux considérables. Effectivement, les intérêts en jeu et les investissements collectifs sont tels qu'il est difficile pour les intellectuels d'échapper à la logique de la lutte.
            Lorsque des intellectuels tentent d'objectiver leurs pratiques, un problème persiste toujours, qui est que l'objectivation est vouée à rester partielle, donc fausse aussi longtemps qu'elle refuse de voir le point de vue à partir duquel elle s'énonce dans le jeu de son ensemble.    
            Dès lors, il convient de devoir objectiver l'ensemble des objectivations pour rendre compte que souvent, un seul groupe souhaite imposer sa stratégie symbolique de relations objectves aux autres. On s'aperçoit alors que des groupes apparemment opposés sur certains points préfèrent s'accorder et rester complices pour tenir l'essentiel masqué, c'est-à-dire leurs intérêts cachés.

      II- Comment bien pratiquer la sociologie ?
              a) Une critique de la démarche sociologique
             Dans sa réflexion sur le discours, Pierre Bourdieu rappelle les tenants de la démarche sociologique.

                       1- La nécessité d'objectiver la science et celui qui la fait (car le sociologue est lui-même socialement situé)  
             Déjà, toutes les propositions que cette science énonce peuvent et doivent s'appliquer au sujet qui fait la science. C'est quand il n'introduit pas cette distance objectivante que le sociologue donne raison à ceux qui le voient comme étant au service de la police symbolique.
             Il faut aussi défaire ses adhésions sans abjurer les croyances constructives de l'appartenance et renier sa filiation. Cette vigilance du sociologue par rapport à ses déterminismes et ses caractéristiques liées à sa position sociale lui permettront d'échapper à "l'ethnocentrisme de classe", c'est-à-dire à la tendance inconsciente à juger tout individu ou groupe en fonction des valeurs, des règles et des comportements du groupe auquel il appartient.
             Le sociologue doit prendre en compte sa position dans l'espace social et indirectement les intérêts qu'il défend parfois. Par exemple, pour analyser si une classe sociale existe, il ne va pas directement dire oui ou non.
             Le sociologue doit donc prendre en compte les représentations de tout le monde et notamment des dominés car c'est souvent eux qui impulsent le sens de l'histoire (vision très marxiste avec le libéralisme qui a pris le dessus sur la noblesse ou le socialisme qui prendra le dessus sur le libéralisme ?)
             Le sociologue, issu du peuple et parvenu à l'élite ne peut accéder à la lucidité spéciale qui est associée au dépaysement social que si :
                   ¤ Il dénonce la représentation populiste du peuple (qui ne trompe que le peuple lui-même)    
                   ¤ Il dénonce la représentation élitiste des élites (qui trompe à la fois ceux qui en sont et ceux qui n'en sont pas)

                       2- La nécessité de se détacher du sens commun
              Aussi, Bourdieu nous met en garde contre ce qu'il appelle le sens commun, c'est-à-dire l'ensemble des opinions et des croyances admises dans une société. Ce sont surtout les représentations qui débouchent sur des idéologies.
               Le sens commun nous ramène à la "sociologie spontanée" qui est un obstacle à la connaissance scientifique et à la "sociologie scientifique". Par ailleurs, le sens commun se construit de manière factice et il donne des explications qui ne sont pas scientifiques aux faits sociaux.
               Bourdieu expose ici une idée pédominante chez Durkheim qui est que les individus ne sont pas conscients de leur déterminisme. C'est ce que Emile Durkheim appelle le "principe de non-conscience".      

                       3- La nécessité de construire le fait social
                Construire le fait social nécessite de découper un secteur de la réalité, c'est-à-dire de sélectionner des éléments et de découvrir les apparences du système de relations propre au secteur étudié. Pour passer au fait social, il faut faire un travail scientifique et une problématique qui doit s'inscrire dans un champ théorique sans tomber dans le sens commun.
                Pierre Bourdieu utilise une démarche hypothético-déductive. Autrement dit, il part d'une loi et en vérifie la véracité. Cette démarche s'oppose à l'approche inductive où on dégage des lois à partir de faits observés.                  
 
              b) Une critique épistémologique de la sociologie
                 Pourquoi une telle importance de la sociologie du système d'enseignement et du monde intellectuel ? Parce qu'elle contribue à la connaissance du sujet et plus directement à toutes les analyses reflexives aux catégories de pensées impensées qui délimitent le pensable et prédéterminent la pensée. Pour Pierre Bourdieu :"On enferme les gens dans des croyances jusque dans les écoles d'élites qui enferment leurs élus".  
                 La sociologie de Bourdieu, a pour but de dépasser certains clivages en sociologie et notamment le clivage entre objectivisme et subjectivisme. Pour lui, il faut jumeler les deux dans l'analyse et il critique chacune des deux approches :
          ° Dans l'objectivisme : On enregistre les faits de façon indépendante à la conscience subjective des sujets. Cette démarche est calquée sur les sciences physiques par exemple. Le sujet devient seulement un objet des structures sociales
          ° Dans le subjectivisme : On insiste sur la liberté du sujet dans les choix (individualisme méthodologique de Raymond Boudon) mais on oublie souvent que les individus sont déterminés par les institutions sociales          
                 Enfin, Bourdieu met en garde le sociologue sur l'usage de certaines techniques lors d'enquêtes d'opinion. Déjà, la structure de l'intéraction a des effets sociaux qui affectent les réponses. Par ailleurs, quand on pose une question à laquelle des gens n'ont jamais répondu, le contexte peut devenir influent sur la réponse de la personne intérrogée. On parle d'effet d'imposition de la problématique.        

              c) La nécessité de la critique scientifique de la sociologie
                  Selon Pierre Bourdieu, chaque acquis de la sociologie de la science renforce la sociologie en augmentant la connaissance des déterminants sociaux de la pensée sociologique et de l'efficacité que chacun peut faire de ses propres déterminismes.
                   La science sort grandie des critiques qu'on lui fait car elle accroit ses armes et ses qualités. Le fait de critiquer une science ne peut se faire que si on a accumulé des ressources scientifiques.
                   Le problème de ceux qui critiquent la sociologie est qu'ils connaissent rarement le champ sociologique et que leurs critiques ont que trop peu de connaissances sociologiques pour pouvoir la contredire.                                            
                                                                                                                                                                       
      III- Une discipline sans cesse menacée qui doit rester indépendante et s'affirmer
               a) La sociologie doit se détacher des enjeux politiques
             1- La sociologie doit s'écarter des fins politiques...
                    Les luttes politiques sont telles qu'on accusera toujours la sociologie de prescrire ou de proscrire quelque chose. La pratique de la sociologie est d'autant plus difficile que le discours politique cloisonne des manières de d'exprimer. Les discours sont formés avec des adjectifs, des adverbes et des verbes qui s'ajoutent toujours de manière tacite au discours lui-même.
                     Le danger est qu'on puisse enfermer la sociologie dans une logique dans laquelle on voudrait la faire fonctionner. Il faut donc faire attention à ces discours qui réduisent les possibilités du discours même.      

                       2- ... Néanmoins, la sociologie peut être libératrice en montrant les stratégies de domination et en critiquant leur légitimité                                                
                      Le sociologue s'aperçoit vite à quel point la classe dominée est démunie face aux dominants. C'est ainsi que deux choix s'offrent à lui :
                        ° Condamner le peuple à l'ignorance
                        ° Critiquer la domination culturelle des dominants              
                       Il n'y a finalement rien de pire que le "C'est ainsi" que prononçait Hegel car l'indifférence face à la réalité du monde social en est une négation tacite. Il ne faut néanmoins pas être péssimiste car le fait de montrer la domination de ceux qui ont le plus de capitaux amène à introduire des "éléments modificateurs" comme disait Auguste Comte.
                      Pour Pierre Bourdieu, la connaissance a un effet libérateur car c'est la méconnaissance de certaines lois objectives qui font croire à leur efficacité alors qu'il y a toujours des possibles erreurs internes. Les dominés acceptent la domination car ils n'ont pas les connaissances nécessaires pour comprendre que les fondements de leur domination sont partiels et mystifiés.                              
                      Ainsi, la sociologie permet de lutter contre l'effet de naturalisation qui tend à faire passer pour naturelles des constructions sociales telles que la domination masculine ou la noblesse d'Etat. L'usage social de la sociologie de Pierre Bourdieu apparaît clairement et dévoile aux agents sociaux les ressorts de la domination.          
                                         
              b) La sociologie a autant craindre de ceux qui en demandent trop que de ceux qui veulent sa disparition      
                      Les demandes sociales sont toujours assorties de pressions et le plus grand service que l'on peut rendre à la sociologie serait de ne rien lui demander. La science sociale ne peut se constituer qu'en refusant la demande sociale d'instruments de légitimation ou de manipulation.
                       Même si la sociologie a pour objectif de montrer les mécanismes de domination dans une société, elle n'a pas à parler pour le peuple car le sociologue doit se défaire de la position sociale qu'il occupe pour objectiver convenablement ce qu'il a à objectiver.
                       La sociologie est confronté à des mécanismes de défense collectifs qui assurent une véritable dénégation au sens freudien. Les milieux avec un fort capital culturel aiment peu qu'on analyse et qu'on mettre à jour leurs détermnismes car ils considèrent leur culture comme innée alors qu'elle est nécéssairement acquise et même le fruit d'une socialisation particulière. Ils reprocheront toujours à la science sociale son absurdité et son évidence.

              c) Réussir à définir la sociologie en tant que science
                       1- Le problème de l'exactitude du langage
                       La sociologie souffre de cette difficulté dans l'exactitude du langage car elle a besoin d'un discours totalement critique dans les présupposés inscrits dans la langage. Le chercheur est toujours coincé entre le brouillard des mots et le monde social.
                       C'est dans l'opposition entre les typologies de langage qui expriment chacune le sens commun que l'on peut dépasser ce qui est scientifiquement mortel. Ainsi, le langage dans lequel nous nous exprimons n'est pas sociologiquement neutre ; il enferme, dans son vocabulaire et dans sa synthaxe, une conception du monde.

                       2- Définir un projet à travers une démarche rigoureuse (voir II)
                        Si on définit la sociologie comme le projet de parvenir, par une démarche objective, à établir sur les faits sociaux un ensemble de propositions qui sont empiriquement vérifiables et toujours soumises à réfutation, alors la question ne se pose plus ou se pose en des termes qui ne relèvent pas d'une approche scientifique.                                      

              d) Comment contourner les critiques adréssées à la sociologie ?                                                                        
                        Selon Pierre Bourdieu, ce qui permettrait à la sociologie de ne pas être contestée, c'est de ne pas céder à la demande sociale mais de vouloir toujours découvrir un savoir total sur le monde social.
                        La sociologie a besoin d'une autonomie du champ de production scientifique pour trouver des réponses à des questions, bien avant que la demande sociale ne les pose.

      IV- Un besoin de concilier histoire et sociologie
              a) La prédominance de l'histoire structurelle sur l'histoire évenementielle
                        Pour Bourdieu, la science et la perception que l'on en a est le fruit de l'histoire même de la science. Dans le cas de la sociologie, tout comme dans toute science, cette science est constituée par son histoire structurelle (histoire ancienne) et son histoire évenementielle (histoire actuelle). La difficulté de la sociologie est alors de combiner ces deux histoires ainsi que la macrosociologie et la microsociologie.
                         Selon lui, l'histoire structurelle est celle où s'effectuent les dispositions qui font "les grands hommes". Les agitations venant de l'histoire évenementielle ne sont que des fragments de l'histoire infrastructurelle qui est prédominante dans notre perception de la sociologie.                    
   
              b) Quelle action historique possible ?
                          Dès lors, comment analyser les volontés de changement historique et sociologique ? L'action historique de n'importe qui ne viendrait pas de l'extériorité. Elle ne réside ni dans la conscience, ni dans les choses, mais plutôt dans l'histoire infrastructurelle et l'habitus de chacun.    

              c) Le besoin d'étudier l'histoire de la sociologie pour comprendre la sociologie actuelle
                          Pour Bourdieu, l'existence du social se fait par rapport à deux choses :
                               * L'habitus / Histoire faite corps
                               * Le champ / Histoire faite chose
                         Par exemple, lorsqu'on réfléchit aux relations chronologiques entre Lénine, Trotski, Staline et Boukharine, il y a des séries causales qui sont néanmoins partiellement indépendantes comme :
                               ¤ Les conditions sociales de production des protagonismes et donc leurs dispositions durables
                               ¤ La logique spécifique de chacun des champs de concurrence dans lesquels ils engagent ces disposition (champ artistique, intellectuel, politique...)
                               ¤ Les contraintes conjoncturelles ou structurales qui pèsent sur ces relations autonomes
                         
      V- Le rôle du champ en sociologie
                         Penser chaque univers comme un champ, c'est pouvoir entrer dans le détail le plus singulier de leur singularité historique. Il faut être attentif aux relations les plus pertinentes qui sont le plus souvent invisibles au premier regard entre :
                               ° Les réalités directement visibles, comme les personnes individuelles désignées
                               ° Les réalités collectives, qui ne sont pas directement visibles et qui sont à la fois nommées et produites
                               ° Les relations entendues comme intéractions, c'est-à-dire comme relations intersubjectives réellement éffectuées
     
              a) Qu'est-ce qu'un champ en sociologie ?
                       La vraie notion de champ repose sur une rupture avec la représentation réaliste qui porte à réduire l'effet du milieu à l'effet du direct dans une intéraction. C'est la structure des relations visibles d'intéraction et le contenu même de l'expérience que les agents peuvent en avoir.
                       La notion de champ suppose une rupture radicale avec la philosophie de l'histoire qui est inscrite dans l'usage ordinaire du langage ordinaire avec des formulations vulgaires comme "L'Etat décide". Dans ce cas, le travail n'est pas fait et conçu comme une personne mais plutôt comme une institution fonctionnant comme cause finale capable de tout justifier sans rien expliquer.
                      Les champs sont des espaces de luttes où chacun tente d'améliorer sa propre situation. Un champ ne peut exister que s'il y a des individus qui y investissent (en y engageant des ressources, en poursuivant des enjeux et en y entretenant des antagonismes et à y conserver ou y transformer la structure.
               
              b) La notion de champ explique comment les dominants exercent leur domination        
                      Le principe moteur du mouvement perpétuel qui agit le champ ne réside pas dans quelque premier moteur immobile (ex : Le Roi Soleil) mais dans les tensions qui, produites par la structure constitutuve du champ tendent à reproduire cette structure. Les agents dominés sont obligés de rester dans le jeu pour essayer d'améliorer leur position ou du moins faire en sorte qu'elle ne se dégrade pas. Les dominants n'ont même pas à penser le système dont la structure tourne à leur profit
                     Les dominants ne dirigent pas tous les champs mais ont un réseau dans chaque champ qui leur permet de légitimer leur domination. Aussi, les différents champs dans lesquels on se trouve nous font oublier le sens de nos actions. On ne se demande jamais le sens de nos actions dans les différents champs sociaux car le fait de poursuivre des actions nous semble naturel alors qu'il n'en est rien.  
                       
              c) La construction d'un champ sociologique
                    Comment se construisent les enjeux et les valeurs ? C'est dans la relation entre le jeu et le sens du jeu que s'engendrent des enjeux et se constituent des valeurs qui apparaissent seulement à l'intérieur du jeu.
                     La motivation n'est pas dans la fin matérielle ou symbolique mais dans la relation entre l'habitus et le champ qui fait que l'habitus contribue à déterminer ce qu'il détermine. L'investissement dans un champ n'est qu'illusion que lorsqu'il ne procure plus de divertissement du sens pascalien, c'est-à-dire lorsqu'on est un spectateur impartial qui n'investie rien dans le jeu et dans les enjeux.
                      Il ne faut pas oublier que le fait même d'investir permet de provoquer une action par soi-même et de s'investir en se créant presque une mission sociale.                

              d) Les fictions sociales finissent par donner des fonctions sociales au sein des champs sociaux
                      Lors d'un rite d'institution, on forge l'image de la personne (ex : le professeur) en façonnant la représentation qu'il doit donner en tant que personne morale. On lui impose un nom, un titre qui le définit et l'institue. On parlerait chez Confucius de "justification des noms" où chacun se conforme à sa fonction dans la société et vit conformément à sa nature sociale "Que le souverain agisse en souverain".
                      En se donnant corps et âme à sa fonction, le fonctionnaire (ou autre) contribue à assurer l'éternité de la fonction qui lui préexiste et lui survivra.            
           
      VI- La sociologie, une nouvelle religion ?
              a) La   sociéte donne un sens à la vie à la place de Dieu
                       Selon Pierre Bourdieu, dans nos sociétés modernes, c'est souvent la société qui prescrit les justifications et les raisons d'exister. C'est elle, en produisant les positions et les actes "importants" qui nous arrache à l'indifférence et à l'insignifiance.
                        Contrairement à ce que disait Marx, il existe une philosophie de la misère car selon Bourdieu :"Misère de l'homme sans considération sociale" en analogie à ce que disait Pascal :"Misère de l'homme dans Dieu". Sans aller jusqu'à Durkheim qui dit :"La société, c'est Dieu", Pierre Bourdieu dirait que Dieu, ce n'est jamais que la société.
                         Tout comme Dieu et la religion, la société donne un sens à la contingence de la vie de l'homme mais dans la société, il y a toujours, selon la vision de chaque individu un goût sacré et un goût profane et par analogie un goût distingué et un goût vulgaire.
                         Enfin, le jugement des autres peut apparaître comme le jugement dernier où l'exclusion est la forme concrète de l'enfer et de la damnation.                          

              b) Les sociologues se sentent mandatés pour donner du sens à l'homme et lui assigner des fins
                          Les sociologues sont les mieux placés pour voir les individus exclus (adolescents violents en quête de reconnaissance d'une existence sociale tout comme les chômeurs). Mais les sociologues oublient souvent que leur propre travail participe d'une illusion qu'ils ont le devoir de combattre.              

              c) Que faire lorsque l'on a découvert l'illusion que nous donne la société ?
                         Pour Pierre Bourdieu, découvrir l'illusion sociale ne doit pas nous amener à démissionner ou à déserter. On peut toujours rentrer dans le jeu sans illusions par une résolution consciente et délibérée.
                          Merleau-Ponty disait à propos de Socrate que même s'il obéissait aux lois, il ne peut donner ce que les institutions primaires veulent de lui, c'est-à-dire son asservissement total. Ceux qui sont liés à l'ordre établi n'aiment pas la sociologie car elle introduit une liberté par rapport à leur adhésion primaire.        
                                                           
      Conclusion :
                       La Leçon sur la leçon a ce quelque chose d'insolent et d'insolite. Cette mise en abyme rompt le charme et désenchante. Elle introduit une distance qui menace d'anéantir, tant chez l'orateur que dans son public la croyance qui est la condition ordinaire du fonctionnement heureux de l'institution.
                      La liberté à l'égard des institutions est la condition de la possibilité de l'existence d'une science. Cette liberté est digne pour ceux qui ont soutenu cette science mal aimée qu'est la sociologie.
                     Le principe même du travail du sociologue est d'exercer son travail mais surtout à le critiquer, tout comme les institutions qu'il utilise pour exercer son autorité.