vendredi 27 février 2015

La culture scolaire et les inégalités à l’école


            Introduction
                  ° L’histoire de l’école en France : les trois temps de l’école
                       * Les débuts de l’institution scolaire selon Emile Durkheim
       Selon beaucoup d’historiens de l’école, l’institution scolaire a un parcours linéaire de ses débuts à nos jours. Cette idée est un leurre car l’école au Moyen-Âge, par exemple, n’a absolument rien à voir avec l’école du XXème et du XXIème siècle.
       Emile Durkheim fait partie de ces historiographes de l’école. Il étudie l’institution scolaire à partir d’une vision « germinative », héritée des Carolingiens avec les enseignements sacrés et les enseignements profanes. Pour lui, ce sont les germes de la culture scolaire carolingienne qui sont les germes de la culture scolaire actuelle. Ces historiographes ont comme point de repère Epinal et l’action de Charlemagne mais cette idée est à nuancer.

                       * Le développement de l’école sous l’Ancien Régime et l’invention d’un nouvel âge : l’âge d’enfance
       La scolarisation connait une nouvelle rupture à partir du XVIème siècle. Pour Philippe Ariès, le développement de la scolarisation dans le Royaume de France est intimement lié à la constitution d’un nouvel âge : l’âge d’enfance. En effet, dans les couches supérieures de la société, les conditions de vie s’améliorent et les enfants ont une espérance de vie plus forte. Ainsi, les parents développent des sentiments plus forts par rapport à leurs enfants qui risquent moins de mourir tôt. Le développement s’associe à ce nouvel âge de l’enfance dans les couches aisées de la population. L’enfant a de plus en plus tendance à être retiré du monde adulte pour grandir à la fois seul et grâce à des enseignements plus poussés. Les enfants de milieux aisés prennent de plus en plus leurs distances par rapport à leur famille.
       C’est à cette époque que naît véritablement les relations de pouvoir entre les maîtres et les élèves. Les maîtres ne sont plus des artisans ou des personnes apprennent directement un métier. Ce sont de plus en plus des hommes d’Eglise qui sont les maîtres d’école. Ils enseignent le catéchisme mais surtout, ils apprennent à lire, à écrire et à obéir.

                       * Les débuts de l’école obligatoire sous la IIIème République et la massification scolaire à partir des années 1960     
       Selon Philippe Ariès, il y a une coupure importante dans ce « long processus d’enfermement des enfants […] et qu’on appelle la scolarisation. » qui se situe à la fin des années 1950 et le début des années 1960. En effet, le XVIIème siècle avait vu la primarisation de masse mais le collège et le lycée restaient réservés à une élite. Or, à partir de la seconde moitié du XXème siècle, les couches populaires ont de plus en plus accès à l’éducation dans le secondaire puis dans les études supérieures.
        C’est à ce moment là que la sociologie de l’école nait. Cette sociologie tente de comprendre pourquoi les inégalités persistent à l’école malgré les différents mouvements de démocratisation. La sociologie de l’école est donc une sociologie très récente mais déjà extrêmement riche.
        En définitive, il n’y a pas d’origine précise de l’école. les historiens s’accordent à dire que les véritables débuts de l’institution scolaire contemporaine provient du milieu du XVIIème siècle mais il est impossible d’être plus précis. 

                   ° Le déterminisme en sociologie et ses limites : exemple de la sociologie de l’école avec ses déterminismes
        En sociologie et dans toute science, un lien entre deux choses devient un déterminisme quand il y a une explication en plus des données statistiques et surtout lorsque la cause A entraine la cause B de façon indépendante par rapport aux autres variables. Ainsi, les fils d’immigrés réussissent moins bien à l’école mais il se trouve aussi que 90% d’entre eux sont d’origine étrangère. On voit ici qu’il faut prendre en compte toutes les statistiques et qu’une statistique isolée et non expliquée n’est pas toujours pertinente car il y a d’autres statistiques qui complètent la première.
        Finalement, La trajectoire scolaire est toujours le résultat d’une combinaison de plusieurs types de facteurs. Chaque statistique met en évidence un facteur mais il est quasiment impossible de faire une étude avec l’ensemble des facteurs avec toutes les inter-connexions. C’est pourquoi, au sein de la sociologie de l’école, qu’on se concentre sur un facteur à la fois en voyant ses liens avec les autres et qu’on n’utilise pas plusieurs facteurs à la fois.
        En ce qui concerne la sociologie de l’école, les sociologues étudient différents facteurs. On en distingue alors plusieurs (caractéristiques des familles et des élèves dépendant de la classe sociale ou du sexe ou encore les modalités de l’école elle-même avec la culture scolaire comme le langage, la pédagogie et les savoirs enseignés).

         I- La « culture scolaire »
       D’emblée, la « culture scolaire » apparaît comme quelque chose de subjectif et qui n’est jamais partagé unanimement par les individus. Les guillemets autour de la notion de « culture scolaire » indiquent le recul pris par rapport à cette notion qui, nous le verrons, n’est qu’une construction sociale. Cette construction sociale a beaucoup évolué dans le temps. Pourquoi étudier la « culture scolaire » ? Parce qu’elle renseigne sur les objectifs de l’enseignement ainsi que des personnes qui ont fait les programmes scolaire. Elle renseigne aussi sur les valeurs et les connaissances qui sont socialement valorisées par l’élite qui choisit les objets d’étude au sein de l’école. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron Ainsi, nous étudierons quelles institutions et quelles personnes ont construit en France au cours de l’histoire la culture scolaire et dans quels buts. Il sera déterminé les objets successivement valorisés par les élites et qui se retrouvent dans cette « culture scolaire ».

                A) Les premières études de la « culture scolaire » en France : l’apport d’Emile Durkheim
       C’est Emile Durkheim qui a été le premier à étudier la « culture scolaire » en France. Il a analysé dès 1904 les idéaux éducatifs et les programmes scolaires en France dans un ouvrage qui est paru après sa mort, L’évolution pédagogique en France (1904). Pour le sociologue français, il y a un lien évident entre les idéaux ainsi que les programmes scolaires et les changements économiques, sociaux et culturels. Il considère qu’il y a eu deux moments clés. Ces deux moments-clés sont le passation de pouvoir entre la noblesse et la bourgeoisie à la Révolution française puis l’effacement de l’Europe chrétienne au profit d’une Europe des individualités et des nationalités à la fin du XIXème siècle.
       L’idée d’Emile Durkheim n’a été poursuivie et développée qu’à partir des années 1970 par l’intermédiaires de sociologues britanniques. Ces sociologues remplacent la notion de « sociologie de la culture scolaire » par la « sociologie du curriculum ». Ils développent deux perspectives prépondérantes liées entre elles que sont la sociologie de la connaissance du curriculum ainsi que la sociologie du pouvoir qui crée ce curriculum.
      
                B) Quelles dimensions et quels enjeux recouvre la « culture scolaire » ?
                      1- Le curriculum n’est qu’une construction sociale
       Pour démontrer que le curriculum est une construction sociale, Emile Durkheim montre en premier lieu que la « culture scolaire » ne correspond qu’à un infime partie des masses de connaissances détenues par une société. Il faut alors faire des choix. Le sociologue français démontre qu’il est plus facile de mettre en évidence le lien entre les enjeux économiques, sociaux ainsi que culturels et le curriculum pour des époques passées car on a plus de recul.

                      2- Les enjeux sont avant tout d’ordre social, économique et culturel
       Ce faisant, Emile Durkheim prend l’exemple de « L’école de la République » à la fin XIXème siècle en France qui a imposé le français pour unifier le pays linguistiquement alors que les trois quarts des français ne parlaient pas français. Le but a donc été d’éradiquer les langues régionales au sein de l’institution française pour unifier le pays linguistiquement. Dans le même temps, l’enseignement de l’arithmétique a pour objectif d’unifier le pays par rapport aux unités de mesure et par rapport à la manière de compter. Le but de l’histoire et de la géographie sont tout aussi évidents, à savoir enseigner la culture républicaine et l’amour de la République. Plus récemment, le développement des filières technologiques et économiques ont eu pour but de mieux préparer les élèves aux nouveaux enjeux nationaux et mondiaux.


                      3- les enjeux sont également pédagogiques
       L’élaboration de la « culture scolaire » est également déterminée par des problématiques purement pédagogiques. Pour être accessible à tous, la « culture scolaire » se doit d’être simplifiée. Tout est présenté sous forme de leçons, de résumés qui doivent permettre d’apprentissage.
       La principale conséquence de cette simplification est le caractère dogmatique de certains contenus, notamment la physique, la chimie ou bien les mathématiques. En littérature ou en art, les oeuvres présentées ne représentent qu’une partie du savoir qui devrait être enseigné. Toute une conception de l’inégalité découle de ce constat car les élèves de milieux modestes ont rarement la possibilité de prolonger le cours qui a été dispensé alors que les élèves dont les parents ont un fort capital culturel peuvent dépasser les résumés proposés en cours.

                       4- Les autres enjeux de la « culture scolaire »
       Les enjeux de la « culture scolaire » ne sont pas seulement déterminés par la culture en elle-même mais également par un ensemble de schémas et d’imaginaires sociaux qui sont propagés par l’école. C’est ce que les sociologues appellent le « curriculum caché. »
       Parmi les intellectuels ayant étudié ce « curriculum caché », on peut citer Michel Foucault ou encore Michel Verret. Selon Foucault, dans son ouvrage Surveiller et punir (1976) l’école reproduit le schéma de la prison, tout comme les autres institutions modernes. Pour Verret, l’école met en place une distribution du temps et une rationalisation qui appelle au mode de vie général de la société. Pour lui, l’école apprend à l’élève la rationalité économique qu’il devra utiliser plus tard.
       Le « curriculum caché » exalte une certaine conception de la division du travail et de la concurrence fondée sur la réussite individuelle. L’école prépare ainsi les élèves à la concurrence future au sein de la société tout en légitimant le système et en développant une vision méritocratique de ce système.

         II- L’explication des inégalités à l’école : le mécanisme du tri scolaire et les théories historiques
                A) Les deux modèles théoriques
        Les années 1960 et 1980 ont vu les sociologues tenter d’englober toutes les problématiques et les données des inégalités tout en les expliquant. On a distingué deux modèles distincts (celui de Pierre Bourdieu et celui de Raymond Boudon). Les deux grandes théories sont d’accord sur le fait que les inégalités se maintiennent à l’école mais elle ne sont pas d’accord sur les mécanismes de ce maintien.
        On distingue alors : 
   ° Les sociologues « conflictualistes » : Ils estiment que l’école elle-même a un rôle inégalisateur et ils lient ce rôle à la domination conflictuelle des classes. Au sein de groupe, on distingue deux sous-groupes. 
                                                                   Il y a ceux qui identifient l’école à un appareil idéologique de la classe dominante et assimilent les divisions scolaires en lien direct avec les divisions sociales, on appelle cette théorie la théorie de la « correspondance » (exemple : Establet et Baudelot et leur ouvrage L’Ecole capitaliste en France (1971)
                                                                   Et puis, il y a ceux qui considèrent l’école comme une transfiguration d’inégalités préexistantes et qui les prolonge. On attribue cette théorie pour l’essentiel à Pierre Bourdieu et Jean-Luc Passeron. On appelle cette théorie la théorie du « leurre ».

   ° Les sociologues « externalistes » : Ils innocentent l’école en attribuant aux inégalités des causes externes et ils lient ces causes l’existence de groupes sociaux sous la forme d’une stratification. Au sein de ce groupe, on distingue deux sous-groupes.
                                                               Il y a ceux qui assimilent les inégalités à des cultures particulières au sein des familles (culture de l’effort, goût de la réussite, manque d’ambition ou culture de la facilité). On peut citer l’exemple de Bernard Lahire parmi ces sociologues avec son ouvrage La raison des plus faibles (1993).
                                                               Et puis il y a ceux qui considèrent les individus comme des êtres rationnels capables de faire des calculs coûts / avantages pour décider ce qu’ils veulent faire.

         Ces deux sous-groupes correspondent à un clivage entre les sociologues « de droite » (prédominance de l’individu, culture de l’effort) et les sociologues « de gauche » (vision marxiste de classes sociales avec une classe dominante qui diffuse la culture de l’élite à travers l’école).
         Cependant, il convient de dépasser les clivages de ces différents modèles pour atteindre un résultats intelligible.

                     1- Exemple du modèle conflictualiste : La domination et la reproduction chez Bourdieu et Passeron
         Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron analysent le lien entre les résultats scolaires et l’origine sociale. Leur méthode d’analyse est le holisme sociologique ; ils étudient la société pour comprendre l’individu. On distingue trois idées principales qui découlent de leur théorie : 
   ° D’emblée, les deux sociologues opposent la « culture scolaire » de la culture familiale et observent que la culture familiale des familles modestes ne correspond pas à cette « culture scolaire ». Ainsi, l’école transforme les inégalités sociales en inégalités scolaires qui devienne légitimées. Il en découle que les différentes cultures des familles ne sont pas aussi rentables les unes que les autres ce qui provoque l’inégalité. Pour caractériser cela, Bourdieu et Passeront utilisent l’idée d’ « inégalité distante. »
   ° Qui plus est, la sélection scolaire ne se fait pas seulement par rapport à des savoirs sacrés ou profanes mais aussi par rapport à un processus pédagogique et individuel. Les enseignants normalisent les inégalités psychologiquement en disant d’un élève de milieu modeste qu’il a « mal travaillé » alors que parfois, c’est parce que sa culture est trop éloignée de la « culture scolaire » qu’il échoue et qu’il n’arrive pas à s’adapter.
   ° Ainsi, c’est la réunion de ces deux idées (sélection et légitimation de la sélection) qui provoque la reproduction sociale et la reproduction des inégalités. Malgré les évolutions positives de l’école en terme de démocratisation, cette institution semble encore très rigide. Pierre Bourdieu critique la démocratisation de l’école et de l’université à travers deux phénomènes. Il y a un phénomène temporel (les diplômes ne sont pas aussi prestigieux qu’avant) et surtout un phénomène structurel (à diplôme égal, ce sont les jeunes de milieu aisés qui réussissent mieux car ils ont plus de capital social comme les relations et les réseaux).

                     2- Exemple du modèle externaliste : la « théorie externaliste » de Raymond Boudon
         A l’opposé de Pierre Bourdieu, Raymond Boudon a une approche individualiste. Il se positionne au niveau des individus pour comprendre leur choix et comment la société se reproduit. Boudon distingue la distribution scolaire et la distribution sociale. Pour lui, la distribution scolaire n’est pas inégale ; chacun peut accéder au niveau scolaire qu’il souhaite s’il s’en donne les moyens. Par contre, il considère que la distribution sociale échappe à l’action individuelle. L’analyse de Raymond Boudon se fait en deux temps : d’abord celui de la distribution scolaire puis celui de la distribution sociale.
   ° En ce qui concerne la distribution scolaire, Boudon estime que les individus sont des êtres purement rationnels qui orientent leurs comportement par rapport à des calculs coûts / avantages. Il n’y a donc pas de raisons que les individus de milieux aisés réussissent mieux que les autres car tout dépend de la volonté des individus de milieux défavorisés et des risques qu’ils prennent. Raymond Boudon prend tout de même en compte ces risques supplémentaires que doivent prendre les individus de milieux modestes pour réussir.
   ° Pour ce qui est de la distribution sociale, Raymond Boudon considère, tout comme Pierre Bourdieu, que celle-ci reste profondément inégalitaire par rapport au niveau d’études. Le paradoxe d’Anderson (idée qu’à un niveau d’études supérieur à leurs parents, les jeunes n’occupent pas des positions sociales plus élevées) est également expliqué par les différences en capital social.                     

                B) Les critiques internes de ces deux modèles
                      1- Le rôle des acteurs est à nuancer tant chez Boudon que chez Bourdieu
         En ce qui concerne le rôle des acteurs dans leur destinée sociale, les thèses de Pierre Bourdieu et de Raymond Boudon ne sont pas figées et sont elles-mêmes nuances.
         Du côté de Raymond Boudon, l’acteur fait un calcul coûts / avantages mais il reste dans un environnement économique et social précis tandis que du côté de Pierre Bourdieu, malgré son habitus de classe, l’acteur peut réfléchir à sa situation et réussir (ou essayer au moins) de changer sa trajectoire sociale.      
  
                       2- Des nuances à apporter sur l’idée de reproduction scolaire et sociale
         En ce qui concerne la reproduction scolaire et sociale, il y a aussi des éléments qui permettent de nuancer les deux thèses principales.
         Pour ce qui est de la reproduction scolaire, elle est toujours aussi forte au fil des années. Cependant, cette rigidité de l’appareil scolaire peut être considérée comme une forme d’autonomie par rapport à la logique du marché. Pour autant, la culture enseignée à l’école reste celle de l’élite intellectuelle française.
          Pour ce qui est de la reproduction sociale, il ne faut pas lier trop rapidement le maintien des écarts culturels entre les classes et l’adéquation des individus à la structure sociale. Effectivement, les acteurs raisonnent par rapport à leurs intérêts sauf que leurs actions n’amènent pas toujours à ce qu’ils souhaitent, sans que ce soit la faute d’écarts culturels.

                C) Les applications contemporaines de ces modèles
         Toutes les études sociologiques récentes ont confirmé cette tendance à la reproduction des inégalités au sein des sociétés de classe. Ainsi, les thèses de Bourdieu et de Boudon sont vérifiées. Il apparaît que la mobilité sociale reste globalement une mobilité proche, que la mobilité sociale nette reste très faible et que l’immobilité sociale domine.


         III- Les stratégies familiales face à l’école : les parents et l’école
          Selon l’historien Philippe Ariès, l’enfant n’existait auparavant qu’à travers l’héritage qui allait lui être donné. L’enfant n’existait pas par lui-même et sa future position sociale était préservée par l’héritage qui lui était transmis. Avec l’apparition de l’institution scolaire, l’enfant ne peut plus compter uniquement sur ses parents, il doit aussi faire ses preuves à l’école. Les parents vont donc tout pour que l’école permette à leur enfant de préserver leur position sociale, ou même la dépasser.
         On distingue deux périodes, la première où la reproduction sociale se fait à l’intérieur de la famille et où l’école sert seulement à augmenter son capital et une autre, la période actuelle, où l’enfant se reproduit à travers l’école et doit y faire ses preuves. Pierre Bourdieu évoque cette lutte dans La Noblesse d’Etat (1989) tout en rappelant que la reproduction sociale se fait aussi par l’intermédiaire des capitaux des parents qui aident l’enfant à l’école.

                     A) Les familles aisées utilisent l’école dans une but de reproduction sociale
         Pour mieux comprendre les stratégies mises en places par les familles, il faut comprendre ce que l’on entend par « stratégie ». Une stratégie, c’est d’abord la connaissance des mises en place de la stratégie (présence de capitaux ou non) ainsi que la mise en place même de ces capitaux par les familles. Plus il y a de capitaux, plus l’espérance des choix devient importante et moins il y a de capitaux, moins l’espérance des choix est importante. Il faut bien espérer sur la notion « d’espérance » qui exclut l’idée d’un déterminisme absolu et qui fait référence aux représentations que se font les familles des possibilités de réussite à travers les différentes institutions pour leurs enfants.

                       1- Les stratégies de conversion : les stratégies des familles disposant du plus de capitaux
         Ce sont les familles qui ont le plus de capitaux qui encourent le plus de risques à l’école. En effet, elles ont une pression énorme pour réussir à transformer leur capital culturel et économique en capital scolaire certifié et permettre leur reproduction sociale. Aucune famille n’est à l’abri d’un « ratage » et notamment les famille à très fort capital économique qui ne peuvent assurer pleinement un avenir à leur enfant sans capital scolaire. 
         En ce qui concernent les familles à fort capital économique, Monique et Michel Pinçon-Charlot attribuent dans leur ouvrage Dans les beaux quartiers (1989), à ces familles la fréquentation de pensionnats privés très prestigieux et très coûteux pour obtenir le capital scolaire souhaité.
         Pour ce qui est des familles à fort capital culturel, les stratégies sont moins aristocrates et privilégiées. Ces stratégies reposent sur une connaissance fine du marché scolaire et des formations rares mais pas forcément inaccessibles pour les autres milieux. Leur déploiement ambitieux réside ainsi dans leur quasi-parfaite connaissance du marché scolaire. Ils s’opposent à ceux qui n’ont pas assez de capital culturel et économique pour pouvoir prendre des risques sans être sûrs du résultat. 

                        2- Les stratégies de reconversion : les stratégies des familles donc les capitaux ne sont plus en adéquation avec les capitaux demandés par l’institution scolaire
         Les familles en question sont globalement les familles de petits entrepreneurs et de paysans dans les années 1950, 1960 et même aujourd’hui. Ces familles ont certes un capital économique mais ce capital ne vaut pas grand chose à l’école et il faut se reconvertir pour réussir à obtenir les meilleurs capitaux scolaires.
         Dans ces milieux-là, les parents utilisent tout le capital économique possible pour garantir aux enfants un capital scolaire élevé mais le résultat est bien moins fort que pour les enfants de parents avec un fort capital économique.  

                        3- Les stratégies de conservation et d’amélioration : les stratégies des familles de classes moyennes salariés
          Ces familles ont un faible capital économique. Leur seul atout est la connaissance (en partie) du marché scolaire. Ce sont ces familles qui mettent souvent leur enfant au collège privé (en plus des familles aristocratiques) en espérant que leurs enfants réussissent mieux. La recherche du « bon collège » et du « bon lycée » sont des éléments primordiaux pour ces familles, qui, à partir du supérieur, n’ont plus suffisamment de capital culturel pour connaître parfaitement le marché scolaire.
                

               B) Les familles de milieux populaires face à l’école : la vision de l’école des familles populaires
                                a) Le principe de réalité
          En sociologie, il n’existe pas de principe de réalité comme en psychologie car on ne peut affirmer que toutes les personnes ont le même principe de réalité. Il sera étudié ici le principe de réalité du point de vue des familles populaires. le principe de réalité des familles populaires se fondent sur 3 grands principes : 
    * Les familles de milieux populaires n’investissent pas dans les pédagogie comme les autres familles car l’investissement dans la pédagogie a une coût et que les familles de milieux populaires veulent être certaines que ce coût est rentable à l’avance. Or, ces familles ne voient pas toujours les bienfaits de la pédagogie à l’école de manière visible (elles se demandent parfois l’utilité de l’art ou bien de la musique dans le futur métier).A ce propos, Erving Goffman parle de « fabrication » selon les familles populaires. Pour ces familles, un travail  « bien fait » correspond à un travail qui a une utilité dans le monde du travail car elles mettent toujours en adéquation le monde de l’école et celui du travail, ce qui les incite à considérer que certaines choses à l’école sont inutiles pour eux.
     * Aussi, ces familles raisonnent en terme d’efficacité par rapport à ce qui leur semble être le plus important (lire, écrire) et de densité (dose de travail importante qui n’est parfois pas nécessaire). Cette culture du travail et de l’effort correspond à la culture de parents souvent ouvriers qui valorisent la force et la quantité de travail, chose que ne demande pas toujours l’école. Cette conception de l’école est opposée à celle des enseignants qui voient l’institution scolaire comme le moyen d’apprendre des choses aussi par plaisir et gratuitement (sorties scolaires, voyages).
      * Enfin, les familles populaires associent à l’école une compétence morale par rapport à la « bonne éducation » et jugent parfois les enseignants laxistes. C’est surtout le cas des familles qui ont des difficultés à avoir autorité sur leurs propres enfants. 
  
                                b) Le principe d’ambivalence
          Le principe de réalité renvoyait à une logique autonome de la part des milieux populaires alors que le principe d’ambivalence fait référence à l’hétéronomie des dominés. La culture de ces dominées est toujours comprise entre l’acceptation, le rejet ou un entre-deux.

          Ce principe est le plus difficile à déterminer car il change sensiblement selon les familles populaires et leurs aspirations entre confiance et méfiance.

dimanche 1 février 2015

La comédie à l'italienne

Introduction

            ° Qu'est-ce que la comédie ? Quelle différence entre le cinéma dramatique et le cinéma comique ?

        Pour expliquer la différence entre la comédie et le drame, prenons l'exemple d'un homme qui marche dans une rue d'un centre-ville. A un certain moment, il trébuche et tombe. Quelles seront ses réactions et quelles seront nos réactions ?

 a) L'homme est vieux et seul, il a une vie de souffrances et de douleurs sur les épaules, comme l'Umberto D dans le film de Vittorio de Sica. Il est tombé parce qu'il 
est vieux, parce qu'il a faim, parce que la société dans laquelle il vit ne lui a pas donné ce dont il avait besoin pour survivre. Quelques passants s'arrêtent, vont à son aide ; mais l'homme se relève, il est très mal. On entend une musique triste (dans le film), quelques personnes pleurent parmi les passants. Beaucoup de spectateurs sont restés touchés par ce film, peut-être que certains ont donné de l'argent à des SDF dans la rue en sortant du film. Cette scène est une scène de cinéma dramatique. 

  b) L'homme qui tombe est un homme très élégant, d'âge moyen, probablement un grand avocat ou une personne ayant une haute position sociale. Il a trébuché sur une de ces peaux de banane qu'il y a dans certains films. Il tombe près d'une route lorsqu'une voiture l'éclabousse. L'homme est totalement trempé. L'homme élégant était sur le point d'aller à un rendez-vous d'affaires. Il ne s'est pas fait mal mais comment va-t-il aller au rendez vous avec des vêtements si sales ? Nous spectateurs, nous rions et nous rirons encore plus si d'autres personnages participeront à la blague ou s'il devait se balader en ville en caleçon. C'est une scène humoristique.

   c) L'homme sui tombe est un homme quelconque, normal, moyen. Il tombe, ne se fait pas mal, se relève directement avec un léger sourire. Le spectateur rit, mais sans avoir un rire très important parce que la même chose aurait pu arriver au spectateur qui rigole. C'est également une scène de comédie mais une scène peu divertissante.

  
      Il n'est pas facile de déterminer avec exactitude et avec une clarté absolue une comédie cinématographique ; mais l'homme qui tombe peut nous venir en aide : la comédie est un moyen, moyen selon lequel il y a la vertu selon Aristote. C'est quelque chose qui fait quasiment pleurer et qui préoccupe, mais seulement pendant un moment ; qui fait rire, mais pas trop et qui nous invite à réfléchir. Pour définir la nature d'un film, il faut analyser si c'est un film dramatique ou bien un film comique.
      Une comédie est un film dans lequel les éléments humoristiques prévalent sur ceux qui sont dramatiques. Mais attention, ceci n'exclut pas que dans les films dramatiques, il puisse y avoir des scènes comiques et que dans les comédie (spécialement les comédies à l'italienne) apparaissent des éléments dramatiques. Prenons deux exemples : 
    Le premier, celui de Rome Ville Ouverte de Roberto Rossellini. Dans ce film, jugé comme un des principaux films néoréalistes et dramatiques, il y a une scène, juste avant qu'Anna Magnani meure où Aldo Fabrizi donne un coup à une vieux malade. C'est typiquement une scène comique. Pour autant, Rome ville ouverte est un film dramatique car les scènes dramatiques prévalent sur les scènes de comédie.
    Le second, celui du Fanfaron de Dino Risi. Ce film est considéré comme un chef-d'oeuvre de la comédie à l'italienne. Pourtant, le film se conclut de manière tragique avec la mort d'un des deux protagonistes (Jean-Louis Trintignant). Néanmoins, le film reste un film comique car les éléments du comique sont bien plus nombreux que les éléments tragiques et dramatiques.

       En reprenant l'exemple de l'homme qui tombe dans la troisième hypothèse et que les gens ignorent, car la situation ne fait pas vraiment rire, imaginons que l'homme s'exclame :"Je vais tomber à nouveau dans un instant." Il tombe à nouveau mais les gens l'ignorent encore et lui marchent dessus car il ne les fait pas rire. L'homme s'exclame :"Quelle belle société ! Si tu tombes, les gens te marcheront dessus !". Le spectateur rit un peu au début et énormément après. L'homme sait qu'il vient de mettre en évidence une vérité à ses dépends. C'est une scène qui est à la fois comique et dramatique, c'est une scène de comédie à l'italienne.


           ° "Comédie italienne" ou "Comédie à l'italienne" ?

        La "comédie italienne" fait référence aux comédies produites en Italie quelque soit la période pendant lesquelles ces comédies ont été produites alors que la "comédie à l'italienne" fait référence à cette époque de la comédie en Italie qui va de 1958 à 1980 avec ses traits spécifiques qui seront analysés.
        En Italie, les idées de "comédie italienne" et de "comédie à l'italienne" sont parfois très mal reçues. Les Italiens assimilent souvent la "comédie à l'italienne" à la routine, aux compromis, au laisser-aller qui caractérisent les Italiens pour les étrangers et pour les Italiens eux-mêmes. Cette expression était même utilisée par les critiques pour caractériser des films sans aucune idée politique ou artistiques, autrement dit des films sans grand intérêt. Pour Laurence Schifano :"Les genres populaires et en particulier la comédie éveillent encore aujourd’hui une méfiance esthétique et morale. (…) La comédie est moins une trahison que la continuation naturelle du néoréalisme ; quant aux artistes les plus novateurs, ils puisent dans le théâtre et même dans la farce pour renverser les frontières et les cadres trop étroits où risquerait de vraiment mourir le cinéma." Les critiques de ce genre sont toujours les mêmes (manque de profondeur, vulgarité, manque d'intérêt). Pour beaucoup, la comédie aurait moins de valeur que le drame.
         Le courant de la "comédie à l'italienne" tend à dépasser cette dichotomie entre la comédie et le drame en associant pleinement les deux et en ayant les résultats espérés.



           ° La différence entre la comédie à l'italienne et le néoréalisme rose
      Appartenant tous les deux à la comédie italienne, comment différencier le néoréalisme rose et la comédie à l'italienne ?

     ° Le néoréalisme rose : il naît sur les cendres du néoréalisme italien au début des années 1950 avec notamment la trilogie des Pain amour de Luigi Comencini et Dino Risi. C'est un genre comique qui prend la suite du néoréalisme dans le sens où il continue la lutte contre les politiques menées contre la démocratie chrétienne à travers la production cinématographique. Le film Umberto D (1952), film appartenant au néoréalisme, de Vittorio de Sica dénonçait le traitement misérable fait aux retraités pauvres au lendemain de la guerre et dans le même temps, le film Toto cherche un appartement (1949), film appartenant au néoréalisme rose a pour but de dénoncer le manque de logement sur un ton comique. Le néoréalisme rose fait suite au néoréalisme car la critique de la démocratie chrétienne ne permettait plus de fait des films néoréalistes sans que la censure sévisse. Giuseppe de Santis parle "d'homicide d'état" pour qualifier la fin du courant néoréaliste pendant que d'autres penseurs estiment que le cinéma néoréaliste est mort naturellement car plusieurs années étaient passées après la fin de la Seconde Guerre mondiale et que ce cinéma avait fait son temps. Les cinéastes italiens décident donc de passer par la comédie pour dénoncer les inégalités économiques et sociales ainsi que tous les maux de la société italienne. Le néoréalisme rose développe une idéologie progressiste et paternaliste dans les luttes en passant par la comédie et en adoucissant les critiques. Le but de ce cinéma est d'arriver à un résultat positif.

     ° La comédie à l'italienne : Elle naît des cendres du néoréalisme rose à la fin des années 1950 et au début du miracle économique italien. Tout comme le néoréalisme rose avait pour objectif de continuer à dénoncer les dérives de la société italienne en souhaitant une amélioration des choses. La comédie à l'italienne reprend l'aspect comique des films néoréalistes roses. Néanmoins, la comédie italienne n'a pas de volonté de changement des politiques menées ou d'ambition de changer la société. Elle souhaite montrer les dérives des Italiens sans y apporter nécessairement de solution. La comédie italienne fait part de ses doutes sur le miracle économique des années 1960 et la possibilité d'un changement politique. Elle est politiquement incorrect et refuse de tomber dans le paternalisme en montrant des gens opprimés ou pauvres. Elle laisse faire une satire sociale des personnages avec une ironie et une farce souvent grotesque. Cette comédie ne veut pas respecter les règles du bon goût et tombe parfois dans le vulgaire pour pousser les choses à l'extrême. Elle apparaît comme beaucoup plus libératrice que le néoréalisme rose.

    Tandis que les personnages du néoréalisme rose représentaient des gens besogneux qu'il fallait aider parce qu'ils étaient bons et que c'était la société qui était mauvaise, la comédie à l'italienne fait le choix de montrer des Italiens mauvais, , cyniques et bouffons sans valeurs morales qui nous mettent mal à l'aise tout en nous faisant rire. Prenons les exemples d'Alberto Sordi incarnant le petit-bourgeois romain hypocrite qui trompe tout le monde (notamment sa compagne dans Les Inutiles de Federico Fellini) et de Vittorio Gassman, le condottiere dans Parfum de Femme (1974).


           ° Le contexte historique en Italie et les débuts de la comédie à l'italienne
                  * Le contexte économique
    L'Italie connaît à partir de la moitié des années 1950 un véritable boom économique, on parle du "miracle italien". Le niveau de vie moyen est en hausse mais les inégalités entre le Nord et le Sud continuent à se creuser. L'Italie du Nord se modernise beaucoup plus vite, ce que les cinéastes italiens étudient à travers les idées de progrès mais aussi les nouvelles "maladies" qui se développent. Le final de la Dolce Vita (1960) de Federico Fellini nous montre l'apparition d'un monstre énigmatique qui est le symbole de la modernité que redoutent les cinéastes.
     Ce développement économique a été grandement remis en question par les réalisateurs italiens de l'époque (création d'une nouvelle classe moyenne inculte, embourgeoisement relatif des ouvriers, explosion des prix de l'immobilier, idée que le développement économique s'accompagne d'une profonde crise de civilisation).

                  * Le contexte politique
     Le contexte politique du milieu des années 1950 permet de comprendre le possible développement de cette comédie à l'italienne et de toute la satire qu'elle comporte. En effet, le milieu des années 1950 est caractérisé par la période du "Dégel" au sein des relations internationales (Election du pape Jean XXIII, "déstabilisation" du Parti communiste italien par Togliatti ou encore le développement du courant réformiste au sein du Parti socialiste italien). Ainsi, l'Italie du milieu des années 1950 jusqu'à la fin de la période de la comédie italienne (et encore après) est caractérisée par un mouvement structurel de libéralisation des moeurs qui a permis la pleine expression des cinéastes de l'époque.
          

         ° Le rayonnement du cinéma italien de la fin des années 1950 à la saison 1975/1976
     Selon l'historien américain du cinéma Peter Bondanella, l'Italie connaît entre 1958 et 1968 son plus grand âge d'or car aucune autre période isolée n'a vu se révéler autant de qualité artistique, de prestige international et de puissance économique. Ce avènement du cinéma italien est à relier à la chute de la production hollywoodienne à partir du milieu des années 1950. De même Cette même production hollywoodienne a rétabli son prestige vers le milieu des années 1970 lorsque le cinéma italien perdait son prestige. Le duel entre les deux industries explique en grande partie le rayonnement puis le déclin du cinéma italien.
     Les recettes sont énormes pour les films italiens, autant à l'étranger que dans le marché intérieur. Entre 1955 et 1976, l'industrie cinématographique italienne produit en moyenne pas moins de 240 longs métrages par an. Le succès de la comédie à l'italienne est telle que même la télévision ne semble pas pouvoir la concurrencer.
     L'aspect le plus révélateur de ce rayonnement est le renouvellement de génération qui amène de nouveaux cinéastes très talentueux. En 1965, l'Etat italien, sous l'impulsion des socialistes, crée une loi pour soutenir les nouveaux artistes du cinéma italien. Cette nouvelle génération de cinéastes a énormément utilisé le modèle des cinéastes de la Nouvelle Vague en France pour prendre des risques et tender des choses nouvelles (exemple d'Elio Petri avec L'Assassin (1961) ou encore Pasolini avec Accattone (1961) ainsi que Mario Monicelli e Pietro Germi avec Le Pigeon (1958) et Divorce à l'italienne (1961).
      Les recettes sont énormes pour les films italiens, autant à l'étranger que dans le marché intérieur. Entre 1955 et 1976, l'industrie cinématographique italienne produit en moyenne pas moins de 240 longs métrages par an. Le succès de la comédie à l'italienne est telle que même la télévision ne semble pas pouvoir la concurrencer. A côté des grandes productions (comme Titanus), il y a des petites maisons de production qui sont souvent éphémères. On en compte 400 entre 1965 et 1970. Leur poids n'a cessé de diminué par la suite.


         I- Les grandes caractéristiques de la comédie à l'italienne
                  a) Les sujets traités par la comédie à l'italienne
                         1- La comédie permet de traiter les heures sombres de l'histoire de l'Italie (Les films du début de la comédie à l’italienne)
      La fin des années 1950 et les débuts de la comédie à l’italienne coïncident avec une libéralisation des moeurs et de la politique en faveur d’une plus grande liberté d’expression. Ainsi, l’ouverture politique permet pour le cinéma d’étudier le passé occulte de l’Italie. 
      La comédie à l’italienne analyse la Première Guerre mondiale et la déroute italienne. La grand film qui retrace l’histoire de l’Italie pendant la Première Guerre mondiale est La Grande Guerre (1959) de Mario Monicelli avec Vittorio Gassman et Alberto Sordi. Ce film retrace, à travers les scènes de bataille filmées anonymement par Blasetti, la déroute italienne et les conditions de vies difficiles à travers un aspect comique.
     Les premiers films à traiter du fascisme sont réalisés au début des années 1960 (All’armi siamo fascisti commandité par le parti socialiste en 1961 ou encore Le Général de la Rovere en 1959 de Vittorio de Sica avec Roberto Rossellini). Au sein de ces films, les cinéastes italiens évoquent aussi la résistance au fascisme comme Rossellini avec Les évadés de la nuit (1960) ou alors Un giorno da leoni (1961) de Nanni Loy.
     Les films de la comédie à l’italienne reviennent également sur les luttes fratricides qui ont eu lieu en Italie pendant le fascisme ainsi qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ces luttes sont portées à l’écran par de nouveaux cinéastes (tel Lizzani qui montre la trahison de du comte Ciano que son beau-père a fait juger et fusiller en 1944 dans Le Procès de Vérone). L’état de l’Italie pendant la débandade de la Seconde Guerre mondiale est également évoquée (Dans le film La Grande Pagaille de Luigi Comencini où Alberto Sordi, ne recevant plus d’ordre retourne à Naples et observe le chaos qui règne en Italie).
     Le film le plus représentatif de la comédie à l’italienne qui retrace l’après-guerre en Italie jusqu’au début des années 1960 est Une Vie difficile (1961) de Dino Risi. On y aperçoit dans ce film l’histoire d’un homme joué par Alberto Sordi, un journaliste romain lâche qui a vécu la Seconde Guerre mondiale puis la joie de l’avènement de la République en Italie avant d’être profondément déçu par les politiques menées par l’Etat italien dans les années 1950. Ce film est considéré comme un « film-résumé » de l’Italie de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début des années 1960.

                         2- La comédie à l'italienne étudie également l'évolution de l'Italie pendant le boom économique et le début des années de plomb
     L’étude de la société italienne des années 1960 et le boom économique est moins organisé et structuré que l’étude qui avait été faite par le cinéma italien du passé occulté de l’Italie. Le miracle économique italien est souvent associé à l’American Way of Life qui se développe dans le monde occidental dans les années 1950 et 1960. L’Italie n’échappe pas à ce phénomène d’embourgeoisement de la société. Cette période se traduit en Italie par un mouvement général dans lequel la population cherche à s’enrichir et à accéder (au moins) à la classe moyenne. Cette obsession de l’élévation sociale est au coeur du premier film que les critiques ont considéré comme appartenant à la comédie à l’italienne : Le Pigeon (1958) de Mario Monicelli. Dans ce film, le spectateur assiste à l’épopée de quatre voleurs minables qui finissent par chercher du travail après avoir raté un cambriolage ; ils n’accèdent donc pas au « miracle italien ». Les cinéastes mettent en évidence le fait que tous les Italiens ne participent pas au miracle économique, il y a des perdants et notamment les italiens méridionaux.
     L’autre élément mis en évidence par la comédie à l’italienne est la critique de cette nouvelle classe moyenne et de cette nouvelle classe bourgeoise qui émerge avec ses excès et son ridicule. On peut citer le film Hier, aujourd’hui et demain (1963) de Vittorio de Sica qui montre dans le deuxième sketch une milanaise, Anna, qui vit sans travailler dans une condition d’extrême richesse sans le mériter et n’en faisant qu’à sa tête. C’est à partir du milieu des années 1960 que la comédie à l’italienne devient véritablement satirique et burlesque face à l’émergence de cette nouvelle bourgeoise qui se complait dans la consommateur et le plaisir sans réfléchir à son existence (citons Le Fanfaron (1962) de Dino Risi avec Vittorio Gassman et Jean-Louis Trintignant). Les personnages présentés sont de plus en plus cyniques, amoraux (comme Les Monstres (1963) de Dino Risi interprètes par Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi) et aliénés par la consommation de masse (La Grande Bouffe (1973) de Marco Ferreri avec Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Philippe Noiret et Michel Piccoli).
     Selon Jean Gili, ces films symbolisent : « Le jalon incontestable d’une histoire de l’hystérie italienne ». Ces films s’inscrivent de plus en plus au sein de films à sketch qui montrent une société qui a perdu ses valeurs ainsi que son regard comme dans Parfum de femme (1974) de Dino Risi.  


                  b) L'esthétisme de la comédie à l'italienne
        La comédie à l’italienne trouve sa source dans plusieurs traditions théâtrales qui se sont entrecroisées à partir des années 20 : la commedia dell'arte, dont l'influence reste prépondérante quant à la typologie des personnages et le récit picaresque sur le plan du récit ; les intermèdes comiques du music-hall populaire, très en vogue à la fin de la guerre ; à un degré moindre, la comédie bourgeoise de la période mussollinienne qui ironisait discrètement sur certains travers sociaux ; la comédie dialectale dont les thèmes , les comparses, les référents humoristiques s'inscrivent dans une tradition plus populaire que littéraire et font naître une géographie de l'Italie en enracinant ses histoires dans les régions.
        A juste titre, les années 1960 sont considérées comme l’apogée du genre. Les histoires deviennent plus emblématiques, davantage historiques. Laurence Schifano estime que : «Expression géographique de l’Italie, la comédie en est surtout devenue l’expression sociologique et historique privilégiée. Serviteurs et vaincus d’hier parfois destinés à devenir les maîtres arrogants et creux de demain, les personnages de l’inépuisable comédie à l’italienne reflètent sous leurs masques pitoyables et grotesques le présent et le passé, la société et l’Histoire.» L’attention des auteurs se porte de plus en plus vers les réalités nationales. Les questionnements sont plus profonds, le genre atteint une certaine maturité. Esthétiquement les choses évoluent positivement. Le genre intègre d’autres formes d’expressivité en empruntant aux autres genres. Les années 1970, poursuivent le discours de dénonciation des failles d’une période économique qui a globalement permis l’amélioration du niveau de vie moyen des italiens : le miracle économique. Les auteurs engagés n’hésitent pas à dénoncer l’accroissement des inégalités sociales entre italiens du centre et italiens de la périphérie (les sudici, terme péjoratif désignant les gens du sud qui migrent au nord et qui se regroupent dans la périphérie des grandes villes), et plus généralement entre italiens du Nord et du Sud.
      Les années 1970 confirmeront la dimension de plus en plus critique dont fait preuve la comédie. A partir de la fin des années 1970, l’influence américaine s’impose fortement sur les goûts du public, et la télévision, concentre la production et la distribution des films. De nombreuses salles de cinéma mettent la clé sur la porte. Pour ne rien arranger, de grands réalisateurs décèdent durant cette décennie tragique : De Sica, Visconti, Rossellini et Pasolini.
     


         II- Les grands réalisateurs, les grands acteurs et les grands compositeurs
                  a) Les grands réalisateurs
                        1- La génération issue du néoréalisme et l’arrivée de la nouvelle génération
       La génération de la comédie à l’italienne directement issue du néoréalisme est symbolisée par Vittorio de Sica. Effectivement, le réalisateur italien est passé par trois genres du cinéma entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début des années 1970 (le néoréalisme, le néoréalisme rose puis le comédie à l’italienne). Vittorio de Sica a été énormément critiqué par rapport à son passage du néoréalisme à la comédie italienne. Beaucoup de critiques de l’époque ont vu chez lui un appauvrissement du contenu de ses films. Or, ce constat est largement revisité aujourd’hui. On lui attribue même la paternité du néoréalisme rose et les prémices de la comédie à l’italienne avec Miracle à Milan (1951) ou encore L’Or de Naples (1954). Ses films du néoréalisme rose, certes paternalistes, ont peu après donné naissance à l’essence même de la comédie à l’italienne (films à sketch, utilisation de nouveaux personnages comme Sofia Loren dès son film L’Or de Naples (1954).
          A partir du milieu des années 1950, de nouveaux réalisateurs commencent à faire leurs preuves et constituent une nouvelle génération (Fellini, Risi, Comencini, Germi, Manfredi, Monicelli ou encore Ferreri). Cet ensemble de réalisateurs participe le plus souvent au mouvement du néoréalisme rose avant d’entrer de plein pied dans la comédie à l’italienne en 1958 avec Le Pigeon de Mario Monicelli.
                   Il y a 4 réalisateurs qui dominent les années 1960 au sein de la comédie à l’italienne :

        * Vittorio De Sica sort son premier film de comédie à l’italienne en 1962 avec Mariage à l’italienne avant de réaliser un film à sketch Les Sorcières (1966). La particularité de Vittorio De Sica est d’avoir énormément fait jouer Sofia Loren (tous les deux sont napolitains) ainsi que Marcello Mastroianni, de sorte que le couple Loren-Mastroianni a énormément marqué l’histoire du cinéma italien et plus particulièrement celle de la comédie à l’italienne comme dans Hier, aujourd’hui et demain (1963) ou encore Mariage à l’italienne (1962). Son autre particularité est d’avoir lui-même joué dans certains de ses films comme dans L’Or de Naples (1954).
         
   

       * Mario Monicelli, par qui la comédie à l’italienne débute, pose un regard sur l’Italie de la Première Guerre mondiale dans La Grande Guerre (1959) ou encore sur la vanité des intellectuels dans Les Camarades (1963). Il utilise quasiment tous les grands acteurs de la comédie à l’italienne (Alberto Sordi, Marcello Mastroianni, Renato Salvatori ou encore Vittorio Gassman).
           


        * Luigi Comencini a participé au mouvement de la comédie à l’italienne mais ses films les plus notables appartiennent cependant au néoréalisme rose, notamment la série des Pain et amour qu’il a co-réalisé avec Vittorio De Sica et Dino Risi. Ce qui a caractérisé l’activité de Luigi Comencini au sein de la comédie à l’italienne est son utilisation fréquente d’Alberto Sordi dans des tragi-comédies comme La Grande Pagaille (1960) ou encore L’Argent de la Vieille (1972). Retenons deux autres de ses films que sont A Cheval sur le tigre (1961) et L’Incompris (1966).
              

     
           * Dino Risi est le plus satirique et le plus sarcastique dans ses portraits. Les acteurs qu’il utilise sont principalement Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi comme dans Les Monstres (1963) ou encore Au Nom du Peuple Italien (1971). Ses films se penchent sur des sujets à la fois historiques comme La Marche sur Rome (1962) sur la montée du fascisme mais aussi des sujets de l’Italie du boom économique comme Le Fanfaron (1962)  avec Vittorio Gassman et Jean-Louis Trintignant.
         
      

                    2- La réalisateurs de la comédie italienne dans les années 1970   
           A partir des années 1970, Comencini, Monicelli, Risi et Scola restent les maîtres du genre. 
         Luigi Comencini réalise de nouvelles oeuvres qui sont bien perçues par le public. Il continue sa critique de la société contemporaine tout en oubliant la fable ainsi que l’histoire (Mon Dieu, comment suis-je tombé si bas (1974) ou encore L’Argent de la vieille (1972) et Le grand embouteillage (1979).
       En ce qui concerne Mario Monicelli, ses comédies trahissent, tout comme chez Comencini, une certaine amertume et un certain dépit de la société italienne. Sa lucidité l’entraine à être plus cruel sur l’Italie de son époque Nous voulons les colonels (1973) ou encore Mes chers amis (1975) et Un bourgeois tout petit petit (1977).
           Pour ce qui est de Dino Risi, c’est celui qui est le plus sceptique et le plus lucide sur la période en question. Il est le plus prolifique et ne cesse de braver les interdits sur la justice dans Le petit juge (1972), sur la condition féminine dans La femme du prêtre (1970), le fascisme dans La carrière d’une femme de chambre (1975) ou encore la vieillesse guerrière suicidaire dans Parfum de femme (1974).
           Enfin, le réalisateur le plus en vue des années 1970 est Ettore Scola. Il réalise les dernières comédies à l’italienne qui resteront dans les mémoires, notamment Drame de la jalousie (1970) ainsi que Nous nous sommes tant aimés (1974) et Affreux, sales et méchants (1976).


                  b) Les grands acteurs
                           1- Le premier grand acteur de la comédie à l’italienne : Toto
          Tout comme Vittorio De Sica, Toto incarne ce passage du néoréalisme rose à la comédie à l’italienne. Toto joue dans les années 1950 dans des films appartenant au genre du néoréalisme rose comme Toto cherche un appartement (1949) , film narrant l’histoire d’un père de famille qui cherche un logement après la guerre pour sa famille. C’est un acteur comique burlesque. Son jeu comique vient en droite ligne de la commedia dell’arte. En évoquant ce passage du néoréalisme rose à la comédie à l’italienne, Toto retient cette persistance de la comédie à travers cette citation : « Je connais par coeur la misère et la misère est le scénario du comique véritable. » 
          Comme il a été dit précédemment, c’est Le Pigeon (1958) de Mario Monicelli que l’on considère comme le premier film de la comédie à l’italienne. Pourquoi ? Car on voit une nouvelle génération d’acteurs qui vont succéder à Toto (Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi, Alberto Sordi ou encore Marcello Mastroianni). Dans Le Pigeon (1958), on a 2 de ces 4 acteurs (Mastroianni et Gassman), on voit le passage du relai et dans le film même, Toto apprend aux nouveaux acteurs comment faire des combines et bien faire un casse.

                           2- Les plus grands acteurs de la comédie à l’italienne
          Les trois monstres sacrés de la comédie à l’italienne ont été Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi et Alberto Sordi. De ces trois acteurs primordiaux, on retient surtout le duo Gassman-Tognazzi qui ont joué dans beaucoup de films de Dino Risi. Chacun de ces trois personnages incarne l’italien moyen auquel le spectateur s’identifie fortement.
          Ugo Tognazzi excelle dans des rôles de maris adultères ou trompés comme dans Le Mari de la femme à barbe (1964) ou encore Le Cocu magnifique (1964) et Le lit conjugal (1963) de Marco Ferreri. L’acteur italien interprète généralement des personnages très grossiers qui ont des addictions au sexe. Cependant, les rôles d’Ugo Tognazzi ne se résument pas à cela ; il a par exemple joué le rôle d’un commissaire de police dans le film Au Nom du Peuple Italien (1971) de Dino Risi.
          

          Vittorio Gassman interprète le plus souvent des personnages sûrs d’eux et complètement individualiste et hédonistes. Il incarne la démesure du miracle économique italien et le divertissement qui mène à l’abrutissement comme dans Le Fanfaron (1962). Vittorio Gassman interprète d’autres rôles comme celui de condottiere dans le film Parfum de femme (1974) ou encore le rôle d’un séducteur de femmes qui est capable de tromper la sienne comme dans Les Monstres (1963) de Dino Risi.
              
     
          Alberto Sordi est la représentation du petit-bourgeois romain moyen, roublard qui fait des coups-bas aux autres pour s’en sortir. Il joue souvent le rôle d’hypocrite, vil et hâbleur. Quasiment tous les personnages qu’il interprète sont immoraux et plein de méchanceté, prêts à tout pour arriver à leurs fins. Parmi ses interprétations les plus célèbres, on note celle dans le film Une vie difficile (1961) de Dino Risi où il joue un personnage qui trompe sa femme et prêt à tout pour vivre du journalisme. Dans le film Il boom (1963) de Vittorio De Sica, il interprète un homme riche qui est prêt à tout pour de l’argent, y compris à perdre un oeil pour mener à bien ses projets.

           

                           3- Les autres acteurs de la comédie à l’italienne
          De nombreux autres acteurs peuvent être citées parmi ceux qui ont fait la comédie à l’italienne. 
          Prenons l’exemple de Marcello Mastroianni qui est connu pour avoir participé à de nombreux films de Vittorio De Sica dans son association célèbre avec Sofia Loren comme dans Hier, Aujourd’hui et Demain (1963).
                 
  
          On peut aussi citer l’exemple de Nino Manfredi et Vittorio De Sica qui partagent le point commun d’avoir à la fois réalisé des films et joué dans leurs films. Pour ce qui est de Nino Manfredi, il incarne souvent des personnages truculents, grotesques, voire monstrueux, il est considéré comme le bouffon de la comédie à l’italienne. En ce qui concerne Vittorio De Sica, représente l’homme suranné, qui vit dans un autre temps et en décalage avec la réalité de son époque.
          Parmi les actrices de la comédie à l’italienne, citons Monica Vitti ou encore Catherine Spaak. Monica Vitti est souvent associée au cinéma de Michelangelo Antonioni même si elle n’a participé qu’à quatre films de lui contre une cinquantaine dans toute sa carrière. Elle fait partie à parti entière de la comédie à l’italienne. Monica Vitti était capable de rivaliser avec les plus grands acteurs de la comédie à l’italienne comme Ugo Tognazzi ou encore Alberto Sordi. Pour ce qui est de Catherine Spaak, elle tient de nombreux rôles auprès du plus grand duo de la comédie à l’italienne, formé d’Ugo Tognazzi et de Vittorio Gassman. Elle participe à de nombreux films, notamment Le Fanfaron (1962) ou encore La Fille de Parme (1963 avec Nino Manfredi.    
                  
         
      Conclusion : La fin de la comédie à l'italienne. Qu'en est-il de la comédie aujourd'hui ?

         A partir de la fin des années 1970, se manifestent les premiers signes d’affaiblissement de la production cinématographique italienne. La tendance se confirme dans les années 1980. La comédie ne peur pas enrayer le phénomène. Pour Jean Gili, «La comédie italienne, capable d’embrasser toute l’histoire de l’Italie depuis vingt-cinq ans à travers celle de son cinéma – comme dans Une vie difficile de Dino Risi (1961) ou Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola (1974) –, a subi de plein fouet la concurrence de la télévision». La télévision a cassé la traditionnelle transmission artistique entre les générations. La production s’est en effet concentrée autour de la télévision publique (La RAI) et de la maison de production de Cecchi Gori. Le public a également évolué et les auteurs ne savent plus répondre aux attentes nouvelles.