mercredi 17 avril 2013

Plus Belle La Vie : La boîte à histoires

          Je me baladais lors d'un journée pluvieuse après une journée de cours épuisante. Je décidais alors d'aller à Ombres Blanches pour y voir les quelques nouveautés aux rayons sociologie et histoire lorsque je tomba des nues. Voilà que se présentait devant moi un livre sur Plus belle la vie, ouvrage écrit par Jean-Yves Le Naour, professeur en classes préparatoires de sciences politiques et docteur en histoire. Je me suis dit qu'il fallait absolument que j'achète ce livre et que je le lise. Arrivant chez moi, je m'empressai de commencer cette lecture si marginale. Il est vrai que l'on peut vraiment se demander qui serait suffisamment intéressé par la sociologie et par Plus belle la vie pour vouloir lire cet ouvrage. Ces deux propriétés sociologiques, pourtant très éloignés en apparence se réunissaient en ce livre, paru aux éditions PUF, et en moi. Après avoir fini ce très bon livre (sisi je vous jure), je me décidai à en faire un article pour expliquer le phénomène Plus belle la vie et analyser les raisons de son succès.
           Finalement, en quoi cette série a réussi à devenir aussi populaire et aussi critiquée après des débuts très difficiles ? Nous nous intérrogerons aussi sur le réalisme de la série. Enfin, nous nous intéresserons aux aspects politiques de la série. Plus belle la vie serait une série de gauche ? De droite ?

             I- Les soap opéra, ces grands oubliés des grands penseurs et chercheurs français
    Malgré ses millions de téléspectateurs, PBLV ne fait pas l'unanimité. La posture intellectuelle française a toujours été de dénigrer le soap opera comme un programme finalement bête et sans intérêt.
    On considère toujours qu'un roman, une pièce de théâtre ou un film est le reflet d'une époque, de certaines moeurs, de certaines visions de la société, alors pourquoi pas le soap opera tel que PBLV, qui semble être une sorte de "laboratoire humain", tant l'espace y est réduit et les personnages concentrés ?
     Le sujet a toujours l'air d'apparaître comme vulgaire, populaire et dénué de sens. Or, aux Etats-Unis, où sont enseignés les pop cultural studies dans les lycées et les universités, nombre de chercheurs se sont penchés très conctètement sur ces phénomènes. En France, les chercheurs sont toujours réticents par rapport à ce type de programme. Il faut attendre 1985 pour qu'une française (Carmen Compte) fasse un doctorat sur le soap opera à l'université de New-York, ne pouvant que difficilement la faire en France.
   Les séries et feuilletons posent tour à tour des problèmes que rencontre la philosophie et d'autres sciences bien plus nobles. Le problème du bonheur est posé dans Desperate Housewives tandis que celui de la liberté est suggéré dans Prison Break et celui de la vérité est apparent dans Dr House.
     Finalement, en 2012, les prestigieuses Presses Universitaires de France ont lancé une collection totalement dédiée à l'analyse des séries ou feuilletons télévisés. Certains y verront un nivellement vers le bas du niveau de la pensée alors que d'autres seront satisfaits de cette ouverture d'esprit.

             II- Une réussite surprenante : Quel type de série pour quelle typologie de spectateurs ?
                  a) Une réussite que personne ne prévoyait 
    La surprenante réussite de PBLV vient d'abord du fait que la série était rapidement vouée à disparaître. Effectivement, la série ne démarre qu'avec 6/7% d'audience alors que le but était de commencer avec au moins 15% d'audience. L'audimat a du mal à décoller et la série est quasiment sur le point de s'arrêter seulement quelques mois après avoir débuté.
    Néanmoins, ces premières déceptions n'empêchent pas les directeurs de France 3 d'espérer que la sauce prenne alors que personne n'y croyait vraiment. L'Express disait par exemple :"Personne ne pariait un kopeck sur PBLV". Finalement, les 15% d'audimat sont atteints en Mai 2005, soit 3,6 millions de téléspectateurs. La série ne cessera de devenir populaire.
    Après quelques années difficiles, même les Anglo-Saxons, maîtres du soap opera, saluent le succès de PBLV :"Les Français ont enfin maîtrisé l'art du soap opera", selon le New York Times.        
     
                  b) Quel type de série pour quelle typologie de spectateurs ? 
                              1- Une série au départ réaliste, mais rapidement hybride    
      Journalistes et critiques s'accordent à dire qu'au début, la série est trop fade et que la peinture sociale est trop "clichée". Arrivent alors de nouveaux producteurs qui vont donner un sens plus romanesque à la série et des intrigues plus vivantes. Pour Michelle Podroznik (productrice de la série) :"On a mis des amphétamines dans le scénario."
    PBLV, qui s'annonçait être une série tranquille, devient le théâtre d'intrigues policière avec des meurtres, des assissanats, toujours mêlés à des histoires de la vie de tous les jours. PBLV a su quasiment réinventer un nouveau style de soap opera, celui d'une fiction à la fois très réaliste, mais aussi très dynamique avec des scénarios parfois un peu farfelus.
     Rapidement, "Plus belle la vie" ne porte plus vraiment son nom tant les histoires difficiles submergent peu à peu les personnages, dont aucun n'est épargné. On intègre des personnages volontairement méchants comme Charles Frémont. Olivier Szulzynger (scénariste de PBLV) en vient même à piétiner les règles du soap opera en faisant primer l'histoire sur les personnages et non l'inverse.

                              2- Une série avec des intrigues très structurées
    Ce qui fait la force de PBLV, c'est cette capacité qu'ont les scénaristes de pouvoir structurer des intrigues et de les faire s'imbriquer entre elles lors d'un même épisode, ce qui empêche le spectateur de s'ennuyer véritablement.
      Chaque intrigue avance chaque jour à son rythme. Chaque épisode se divise en trois "arches". La première arche dure deux, voire trois mois et forme le socle romanesque et l'intrigue principale du moment. Le seconde s'étale sur une semaine ou eux et aborde des faits de société comme l'avortement, le racisme, l'alcoolisme, l'amour chez les jeunes ou chez les vieux. Enfin, vient une troisième "arche" qui appartient à la comédie des moeurs qui ne dure qu'une ou deux journée(s).

                              3- Un public très diversifié
      Le programme de France 3 s'est imposé en quelques années comme un rendez-vous familial fédérateur et doté d'une audience proprement atypique, qui montre que la série ne correspond à aucune cible précise : des riches et des pauvres, des jeunes et des vieux, des ouvriers et des chercheurs du CNRS.                                  

             III- Comment expliquer un tel succès ?
                     A) Le choix crucial de la ville de Marseille
    Selon les dires des producteurs, le choix de la ville de Marseille a été très naturel. Pour eux, la série ne pouvait se dérouler dans une autre ville. Mais pourquoi ce choix de la ville de Marseille ?

                              1- Une ville très méfiante par rapport au pouvoir central et à l'élite
     Ce qui caractérise Marseille, d'un point de vue historique, c'est cette distance prise avec le pouvoir central. Elle s'est toujours plus tournée vers l'extérieur que vers l'intérieur. Marseille ne s'est jamais véritablement conformé à la puissance parisienne. La cité phocéenne s'est faite tour à tour remarquer par sa posture, embrassant le girondisme sous la révolution ou bien le libéralisme sous la Restauration.
     Aujourd'hui encore, les scores élevés de l'extrême-droite témoignent d'une méfiance de beaucoup de Marseillais par rapport à la centralisation du pouvoir autour de Paris. Sous la révolution, le conventionnel Fréron, qui déteste cette cité, décide de l'humilier en l'appelant la "Ville sans nom" par arrêté du 6/01/1794.

                              2- Une ville remplie de clichés
         Marseille est historiquement montré du doigt par les gouvernements du 18ème et du 19ème siècle comme la ville qui n'est pas patriote et qui tient peu à la France. Le Marseillais a le rôle ingrat d'incarner le contretype du bon français.
         Il paraît souvent ridicule, hâbleur, fort en gueule, presseux, vulgaire. Le Marseillais est censé se nourrir d'ail, de pastis et de bouillabaisse. Il est aussi malhonnête homme. Marseille est aussi le symbole de l'insécurité, avec les fameux "quartiers nords" où la délinquence serait la plus élevée de France, ce qui est faux car elle pointe à la 19ème place en ce qui concerne la délinquence.  

                              3- Une ville très tournée vers l'extérieur et très mixte (culturellement et socialement)          
         Marseille a toujours été considérée comme la "Porte de l'Orient", la ville ouverte, à de grandes vagues migratoires (1 Marseillais sur 4 est italien en 1914). C'est pour cette raison que PBLV promeut le "vivre ensemble". Marseille représente bien la diversité des populations de France.
          La cité phocéenne est aussi caractérisée par cette proximité entre les habitants d'un quartier, caractéristique très spécifique à la ville. L'ambiance y est souvent conviviale et s'oppose à la philosophie individualiste triomphante.
          Cette diversité sociale est aussi la résultante d'une typologie particulière des quartiers de Marseille. En effet, Marseille n'est pas une "grande ville" mais un assemblage quartiers bien distincts. On rescence en tout 111 petits quartiers qui ont chacun une identité propre. Aussi, on ne distingue pas comme dans les autres grandes villes de France des distinctions fortes entre les quartiers du centre-ville et les autres. Il reste encore à Marseille des quartiers populaires dans le centre-ville même si cela tend à changer.
                           
                              4- Le refus du pittoresque
     Même si Marseille a été choisie pour certaines de ses caractéristiques, PBLV se refuse d'être une série au style pittoresque. Il ne s'agit en aucun cas d'une série véritablement régionale. Effectivement, seul un des personnages a l'accent du sud (et ce n'est même pas l'accent marseillais).
     Pour Olivier Szilzynger :"PBLV n'est pas un feuilleton marseillais. C'est un feuilleton qui se passe à Marseille". Et même si les lieux marseillais sont de plus en plus cités, il n'est pas question pour les producteurs que les lieux retranscrivent un certain régionalisme.
     Aussi, les références locales sont peu présentes. Elles passent surtout par la cuisine, qui a un aspect très universel et qui met (presque) tout le monde d'accord. Par ailleurs, l'OM est quasi-inexistant alors que la série se passe à Marseille. Seule une écharpe dans le bar de Roland Marci est là pour rappeler cet attachement local au football.
    Au contraire même, les Marseillais ne se reconnaissent pas du tout dans PBLV. Pour eux, la "réalité de la ville" est cachée et la série est trop aseptisée et ne montre pas les véritables problèmes de la ville (pollution, déchets non ramassés parfois). La région PACA est seulement la 8ème région qui regarde le plus PBLV.                        
       
                     B) Une diversité dans les thèmes abordés et les personnages mis en scène
     Selon Eric Macé, sociologue français, la télévision française est très peu métisée et reste très largement "blanche". Il y dénote un décalage évident entre l'image que donne la télévision et la réalité bien plus métisée de la France.
     A la fin des années 1990, le CSA lui-même s'inquiète de ce manque de diversité et encourage fortement les chaines de télévisions à montrer plus de diversité. PBLV frappe là où la plupart des chaînes françaises manquent à l'appel. La série propose un programme avec beaucoup de mixité culturelle qui est très vraisemblable à la société française actuelle.

                     C) Une série véritablement réaliste ?
                              1- A première vue, non
     A première vue, même si le but premier de la série était le réalisme social, on s'aperçoit vite que ce n'est plus vraiment le cas. Le tournant romanesque visant à le sauver d'une audience catastrophique l'en a considérablement écarté.
     Le quartier paisible s'est vite transformé en enfer. On dénombre 100 meurtres à partir de Janvier 2011. Pour ceux qui restent vivants, ils finissent souvent en prison ou en garde à vue.  

                              2- Une série réaliste dans la manière de filmer
     Si PBLV est une série réaliste, c'est notamment par rapport à la manière dont sont réalisés les épisodes. En effet, les comédiens ne recoivent leur texte que quelques jours avant le tournage. Pour Hubert Besson :"Les comédiens jouent jouent quasi en direct. Cela permet de garder une certaine fraicheur"  
           
                              3- Des personnages très travaillés dont on comprend la psychologie        
     Ce qui rend le feuilleton réaliste, c'est que les personnages évoluent dans un monde parallèle étonnamment proche parce que connecté sur le plan chronologique : on y fête Noël et le Jour de l'an en même temps que dans la vraie vie, et les références à l'actualité font que cet univers revêt à force un vernis de réalité.
     Au bout d'un moment, les personnages que l'on côtoie n'ont plus de secret pour nous car on connait leur psychologie. On sait comment ils vont réagir.Les personnages sont investis et revêtu d'une certaine identité. Aussi, PBLV emprunte des tics langagiers de la jeunesse que l'on entend souvent comme "mythonner", "vite fait" ou encore "trop pas".

                              4- Des sujets de société traités qui sont d'habitude tabou à une heure de grande écoute
     Ce qui fait la force et le réalisme de PBLV, c'est de parler de sujets très polémique que l'on entend tous les jours dans les médias comme le sida, la drogue, l'islamisme, l'extrême-droite, l'ultragauche, l'homophobie, le racket, le viol, ce qui est assez exceptionnel pour un programme français.
     Aussi, il n'y a pas ou peu de clichés : Les personnages âgées ont une sexualité avec parfois des jeunes (Mme Vitreuil et Rudy). Même si la série n'est pas un documentaire, on y parle parfois de faits historiques douloureux comme la Guerre d'Algérie.                        

             IV- La politique dans Plus belle la vie
       Même si le but premier d'un soap opera est de racoler très largement sans se poser de question sur sa couleur politique, PBLV, en abordant des questions de société, et en racontant les histoires d'une certaine manière prend inconsciemment parti dans la débat politique. Mais comment la série prend parti ? Le feuilleton est-il de droite ou de gauche ?

          a) Une droite ridiculisée
       La droite est ouvertement ridiculisée dans PBLV. Les personnages de droite sont crées pour faire en sorte que les spectateurs ne les aiment pas. Ils sont à l'image de ce que la gauche pense de Sarkozy ou bien des hommes politiques de droite.
       Déjà, le personnage de Mirta, catholique et sarkozyste de service, est présentée comme débordant de préjugés et d'a priori. Elle juge toujours sans savoir et passe son temps à faire la morale, ayant l'air profondément ringarde.
       Quant à Charles Frémont, le méchant de service, il fait partie de cette droite décomplexée. En tant d'hommes d'affaires, il entretient des relations étroites avec le représentant politique Charles-Henri-Picmal
       Pour ce qui est de Vincent Chaumette, il apparaît comme un véritable requin, corrompant les élus et considérant l'argent comme seul et unique but dans la vie. Il est antipathique à souhait.
       Le pire reste Charles-Henri-Picmal qui ne cesse de parler d'insécurité et d'alimenter les tensions raciales pour les exploiter politiquement et surfer sur les peurs. Il passe son temps à parler de "racailles" et de "parasites"
       Au final, PBLV passe son temps à ridiculiser la droite et à l'assimiler à la corruption et au vice de l'argent d'une manière assez superficielle et pas vraiment subtile.                              

          b) Une extrême-droite en guerre contre PBLV
       Si les téléspectateurs de droite de PBLV se plaignent peu de la série, ce n'est pas le cas de l'extrême-droite qui est véritablement en guerre contre PBLV. Elle passe son temps à se dire choquée de ce qu'elle pense être une "promotion de l'homosexualité et du metissage".
       Selon l'extrême-droite, PBLV serait un programme profondément "anti-français" qui donne une mauvaise image de la police et une bonne image de l'intégration de jeunes issus de l'immigration. Elle se plaint que les évènements décrits soient loin de la réalité.      

          c) Une série à gauche  
       Le fait que PBLV soit une série de gauche n'est pas directement dit mais se comprend au fur et à mesure en regardant la série. Tout simplement parce que les personnages ne parlent quasiment jamais de politique dans le feuilleton, ce qui gâche en partie le réalisme de la série.
       La séquence la plus anti-sarkozyste de PBLV reste cet épisode de début janvier où les personnages s'exclament à l'unanimité qu'ils souhaitent le changement, faisant indirectement référence au slogan de François Hollande, sans aller plus loin. Aussi, Thomas s'exclame à un moment donné :"Je voterai pour celui qui légalisera le mariage homosexuel", ce qui correspond à dire qu'il votera pour François Hollande.
       Au final, la gauche, représentée par Blanche Marci est celle des bon sentiments, du consensus sur des valeurs minimalistes qui réunissent le plus grand nombre ou presque (tolérance, anti-discrimination).  
     
            d) L'aspect politique est peu développé au final    
       Même si un certain nombre d'évènements font référence au domaine de la politique, PBLV reste un programme citoyen dont la barre philosophique n'est pas placée très haut et qui recule devant la perspective du conflit d'idées, forcément moins consensuel.    

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